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Le fascisme des antifascistes

Eloge de Pier Paolo Pasolini

lundi 31 janvier 2022, par Denis COLLIN

Pier Paolo Pasolini (1922-1975), romancier, poète, cinéaste, essayiste et polémiste, est incontestablement une des plus éminentes personnalités intellectuelles italiennes et européennes du XXe siècle. Catholique et communiste, mais esprit libre qui ne s’est jamais laissé embrigader par les institutions de ces deux courants qui dominaient l’Italie d’après la Seconde Guerre mondiale. Homosexuel revendiqué — ce qui lui causera pas mal d’ennuis, y compris l’exclusion du PCI — il s’est assez vite détaché des mouvements contestataires d’après mai 1968 et la « libération sexuelle » lui sembla n’être que l’une des manifestations du triomphe de l’hédonisme de la société de consommation. Pour aggraver son cas, il est contre l’avortement et n’en accepte le droit que comme un moindre mal… Je repense à Pasolini, parce que son image est largement utilisée dans le meeting « immersif et olfactif » de « l’Union Populaire » qui s’est tenu à Nantes et qu’on peut revoir sur Youtube. Que Pier Paolo venait-il faire dans cette galère ?

On le sait, le thème de l’antifascisme est devenu un des thèmes favoris de la gauche radicale — de l’extrême gauche aux partisans de Mélenchon. Adrien Quatenens, jeune héritier présomptif de la maison Mélenchon, le dit sans ambages : il ne faudra aucune voix pour Marine Le Pen au second tour. Le premier est déjà joué et nos antifascistes se préparent à faire « barrage au fascisme » lors du second tour et donc à faire réélire Macron. Mais où est donc ce « fascisme » dont on nous rebat les oreilles ? Voyons ce qu’en disait en son temps Pier Paolo Pasolini. D’une part, le fascisme d’aujourd’hui — il parle du « fascisme » italien des années 1970 — n’est un fascisme que nominalement. Il n’a plus rien à voir avec le fascisme des années d’avant la guerre et les jeunes fascistes eux-mêmes ne se distinguent en rien des autres jeunes de leur âge ! Lors des premières manifestations qui opposaient les jeunes étudiants contestataires aux forces de l’ordre, Pasolini prit même parti en faveur des policiers, dénonçant les étudiants les petits bourgeois et rappelant que les policiers dans cet affrontement étaient les prolétaires. Pasolini écrit : « Il existe aujourd’hui une forme d’antifascisme archéologique qui est devenu un bon prétexte pour se procurer une patente d’antifascisme réel. Il s’agit d’un antifascisme facile qui a pour objet et pour objectif un fascisme archaïque qui n’existe plus et qui n’existera jamais plus. » Il montre que le fascisme d’antan était adapté au chef qui prononçait des discours depuis un balcon, mais aujourd’hui ce fascisme-là est devenu ridicule, « la télévision l’a rendu vain et politiquement détruit » (interview du 26 décembre 1974). Le vrai fascisme, celui qu’il faut combattre, c’est celui du pouvoir de la société consommation qui détruit en son fond la culture populaire, l’âme du peuple italien et la beauté du monde.

Revenons de Pier Paolo à la notre situation française d’aujourd’hui. Il existe des groupes fascistes, parfaitement minoritaires et qui ne sont que des fascistes insensés qui miment parfois la violence fasciste d’autrefois, mais ils sont, en eux-mêmes, la farce d’une tragédie qui est loin derrière nous. Il y a par contre quelque chose de très dangereux qui pourrait avoir les mêmes fonctions et les mêmes finalités que le fascisme d’autrefois, mais sans risquer les ennuis et les risques que comporte la constitution de milices armées. Cette sorte de fascisme inédit (voir l’article de Jacques Cotta du 1er juin 2020) trouve son expression la plus claire dans le macronisme qui chaque jour un peu plus accentue son caractère autoritaire, sa volonté de museler toute la population (au sens propre comme au sens figuré). M. Attal annonce la couleur : respect de l’autorité de l’État, priorité des devoirs sur les droits (y compris les droits sociaux), c’est une mise au pas généralisée qui s’organise. Et pour ceux qui refuseraient l’ordre nouveau macronien, la répression des Gilets jaunes dit clairement ce qui les attend.

Pasolini faisait remarquer que le nouveau fascisme, pas le fascisme archéologique, avait commencé à transformer le pays de fond en comble, alors que l’ancien fascisme n’avait qu’effleuré la surface. C’est très exactement cette transformation du pays de fond en comble qui est en route depuis un bon moment et que Macron et ses séides se donnent pour tâche d’accélérer afin de la rendre irréversible. Le contrôle de la population avec l’Ausweis électronique est l’élément visible d’une gigantesque opération de formatage des cerveaux où l’on apprend à tous l’obéissance à des ordres plus absurdes les uns que les autres. Les deux ans de « politique sanitaire » dressent un portrait assez terrifiant de ce qu’est la réalité du macronisme.

Ainsi l’antifascisme archéologique n’a pas d’autre but que de camoufler l’opération totalitaire (fasciste donc si l’on veut) qui se mène dans les sommets du pouvoir avec l’appui de la classe intellectuelle petite-bourgeoise qui vit des miettes tombées de la table de la mondialisation. L’antifascisme archéologique tire à boulets rouges sur M. Zemmour et Mme Le Pen qui n’ont rigoureusement rien à voir avec le fascisme. Quand on sait que plus on est jeune et plus on est ouvrier, plus on vote pour Marine Le Pen, la dénonciation frénétique de Mme Le Pen prend toute sa signification. L’antifasciste archéologique désigne clairement comme ses ennemis ces salauds de pauvres, ces ouvriers et ces travailleurs indépendants qu’on a vus sur les ronds-points habillés de gilets jaunes. Sinon, comme le disait Pasolini, il irait leur parler, essayer de comprendre pourquoi ils votent RN et proposer de constituer avec eux un bloc populaire contre le bloc des élites.

L’antifascisme archéologique dénonce la culture populaire, le sentiment national, la consommation de viande comme du « fascisme ». Le malheureux Fabien Roussel a été traité de tous les noms pour avoir défendu la bonne vieille gastronomie populaire. Le nouveau fascisme vise à briser toutes les résistances à la domination absolue du capital. Les nations, l’appartenance à la famille, les traditions, voilà autant d’éléments de résistance à la transformation de tous les humains en individus interchangeables qui ne peuvent plus se réaliser que dans la consommation sans fin de tous les gadgets qu’offre la société de consommation. L’antifascisme archéologique vient ainsi au secours du vrai fascisme inédit de notre époque en donnant sa propre contribution au broyage des individus.

Si on suit encore Pasolini, on admet facilement que l’ancien fascisme ne reviendra plus, mais que c’est autre fascisme, appuyé sur les technologies modernes les plus invasives qui s’installera et poussera même l’audace jusqu’à s’appeler antifascisme. Ceux qui prônent la destruction du langage ordinaire au profit d’une horrible langue dite « inclusive », ceux qui dénoncent toutes les identités nationales au profit d’un monde « créolisé », c’est-à-dire raboté selon les plans du capital, ceux qui appellent à la liquidation de la sexualité et des relations naturelles entre hommes et femmes au profit de l’idéologie « queer » et « trans », ceux-là sont indiscutablement les vrais « fascistes » d’aujourd’hui, c’est-à-dire les agents de la mise au format des corps et des esprits selon les normes du capitalisme absolu. La plupart n’en sont évidemment pas conscients et se figurent être de terribles révolutionnaires, mais comme le disait Marx, on ne juge ni les individus ni les sociétés sur ce qu’ils disent d’eux-mêmes, mais sur leur réalité effective.

Ainsi, on le comprend, les partisans de Mélenchon ont eu droit à l’image de Pier Paolo Pasolini afin que son message soit soigneusement dissimulé.