À propos du livre de Laurent Mauduit et Denis Sieffert « Trotskisme, histoires secrètes ; de Lambert à Mélenchon.
La première chose à dire, peut-être, c’est que ce livre, écrit par deux bons journalistes se lit très bien.
Pour des gens comme moi, il est passionnant et en plus d’un point, émouvant, puisque j’ai été militant de l’OCI de 1967 à 1983.
Membre du CLER, membre du BN de la brève FER, puis du BN de l’AJS, responsable de l’UNEF à Orsay à la suite d’une belle bataille syndicale, ensuite intervenant dans le travail international en Espagne (sous la responsabilité de François Chesnais), l’un des organisateurs de la rencontre à ESSEN pour l’IRJ, enfin responsable de rayon dans la région parisienne. Je n’ai jamais été permanent, ni membre du CC. « Pourquoi ? » m’a demandé un jour Lambert dans les travées d’un Congrès : « Tu es ramier ? », c’est à dire fainéant. Je n’ai pas su quoi dire. En réalité, à partir de 1975, je suis resté « le cul entre deux chaises ». J’aimais les maths, j’ai passé le CAPES et l’AGREG, je faisais de la musique, sans savoir trop pourquoi, je ne voulais pas m’engager davantage.
J’ai connu, admiré et aimé tout ces gens : Christian de Bresson, qui est resté mon ami jusqu’à sa mort, François Chesney, Daniel Shapira (que j’ai recruté à Orsay), Chisserey que je considérais comme un maître en politique, Gérard Bloch, Pierre Broué, et aussi Stéphane Just (que M&S détestent, je ne sais pas pourquoi), Charles Berg, mais aussi Liliane Lombart, Nicole Bernard, Pierre Salvaing, Michel Sérac et plusieurs autres. Et bien sûr, Pierre Lambert.
Pour un « cadre moyen » comme moi, il n’était pas le grand dictateur machiavélique que décrivent (non sans arguments) M&D. C’était un militant, un dirigeant d’accès facile, toujours près à débattre dans la cour du 87. Son fils François m’avait dit : « C’est difficile d’être le fils de quelqu’un qui, dans une joute oratoire avec toi, gagne toujours, et à la loyale. »
Je savais que l’exclusion des varguistes était crapuleuse, ignoble. J’en avais honte. Dans la cour du « 87 », j’ai demandé à Claude Chisserey si l’organisation avait d’autres preuves de la culpabilité de Varga, que ce qui avait été publié dans la Vérité, qui ne prouvait rien. Il m’a dit d’un air grave : « Non, il n’y a rien ». Je ne voulais pas, cependant, renoncer à « construire le parti révolutionnaire ». J’ai donc fait ce que Lambert recommandait pour certains votes syndicaux : je suis allé (courageusement) pisser au moment du vote.
Pour ce qui est des ombres et des lumières qui ont constitué l’activité de l’OCI durant ces années, j’ai trouvé l’exposé de M&S juste et nuancé, à quelques détails près. Sur la suite, entre 1985 et 2005, et même au delà, il m’a beaucoup appris. Quand j’ai quitté l’OCI (« sur la pointe des pieds »), je me suis désintéressé de la politique. Je me suis réinvesti fortement dans la popularisation des mathématiques, j’ai créé une revue, puis une seconde, puis une maison d’édition de mathématiques, j’ai écrit des livres, j’ai coordonné à Bruxelles un projet Leonardo da Vinci pour l’Université de la Méditerranée. Mon intérêt pour la politique est revenu en 2005, avec les comités pour le « NON ». Par la suite j’ai navigué, proche du PCF (à Marseille), proche du Mars, de Ensemble, puis de Mélenchon, du PG, de la FI dont j’ai ardemment fait les campagnes présidentielles.
Je me pose la question : quelqu’un qui n’a pas été militant trotskiste durant de longues années, que trouvera-t-il dans ce livre ?
Son objet, dit le titre, est de démontrer une filiation entre Lambert et Mélenchon.
Dans leur conclusion, les auteurs disent mettre leur espoir dans la construction d’une gauche écosocialiste démocratique. Une opinion largement partagée.
Plusieurs fois, ils affirment que la question de la démocratie est le cœur de leur propos. Impossible de ne pas approuver.
En quoi leur travail veut-il contribuer à ces louables objectifs ? Justement en révélant une étroite parenté politique entre ces deux personnalités : Pierre Lambert et Jean-Luc Mélenchon. Les auteurs estiment – non sans raisons !— que la cause écosocialiste gagnerait à ce que JLM quitte la scène, et ils pensent que certaines vilenies du premier jettent l’opprobre sur le second. Voilà donc ce que ce livre devrait apporter à un lecteur moins impliqué.
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Le journalisme est un beau métier puisqu’il permet de transmettre des informations au plus grand nombre. Un bon journaliste (c’est le cas de nos deux auteurs) doit être capable de rendre intelligibles des sujets complexes à des gens qui n’ont pas beaucoup de temps à consacrer à de telles études. Le discours journalistique a donc souvent le défaut de rester à la surface des choses, de produire un digest qui passe à côté de l’essentiel.
Une réaction de Pierre Salvaing à ce travail, que je viens de lire à l’instant, souligne que M&S n’ont pas ressenti le besoin de situer leur travail et leurs objectifs dans au moins une allusion au contexte historique que, lui, évoque comme une suite impressionnante de reculs et même de défaites des classes laborieuses dans les quarante dernières années. Je le rejoins sur ce point. J’ai placé dans ma « Critique de la Raison Gazeuse » (2022, Éditions « À plus d’un titre », page 19, 20 et 21), une petite chronologie portative dans laquelle je note les combats, les déceptions, les échecs (je reprenais là, en partie, un exposé de Jacques Rancière dans « Les mots et les torts »).
Du contexte immédiat dans lequel nous nous trouvons, on peut en tous cas noter quatre points, qui relèvent d’échelles différentes. Un, en toile de fond, la progression inéluctable de la ruine de l’environnement nécessaire à la vie sur notre planète. Deux, une « drôle de guerre » mondiale-locale à l’est de l’Europe. Trois, un épouvantable génocide en cours dans la bande de Gaza, devant lequel l’UE et les USA c’est à dire « l’Occident » assiste sans s’y opposer et auquel au contraire, avec la livraison massive d’armes à Israël par les USA, il y participe. Quatre : la montée des régimes fascistes ou fascisants partout dans le monde et en particulier en France, où la victoire du RN à la prochaine présidentielle est une possibilité. Il est naturellement impossible d’abstraire les questions politiques impliquant Mélenchon et la FI de ce contexte.
Un autre étonnement m’est venu du fait que pour parler de Jean-Luc Mélenchon, et de la France Insoumise, M&S ne mentionnent jamais le programme, L’Avenir en Commun, LAEC, qui est la bible des militants. Beaucoup sont capables de dire : « Les défauts de J.L.M., on s’en fiche, on milite pour LAEC ». Il est question de Charlotte Girard, qui a coordonné le programme (avec Jacques Généreux), il est question de Liêm Hoang-Ngoc, qui s’inquiète de la validité du chiffrage du programme… mais QUEL programme ? Il n’en est jamais question. Ce programme a été élaboré par des équipes d’experts, critiqué et validé par des centaines de propositions de militants (sans doute le seul moment, durant les deux derniers trimestres de 2016, où ils ont eu un certain droit à la parole) des quantités de « livrets complémentaires » ont été travaillés et rédigés. Durant les campagnes électorales, toutes les réunions publiques sont basées sur ce programme et sur ces livrets. Chacun peut constater à la lecture des « 650 mesures » sur lesquelles a été fondée la NUPES que la prise au sérieux de ce programme ne peut qu’entraîner un conflit majeur avec l’oligarchie libérale française et européenne. Quelqu’un a bien parlé de ce conflit, c’est François Lordon.
Il en est de même d’ailleurs du « Programme de transition » de Léon Trotski. Pour les auteurs il s’agit d’un texte sacré, donc dérisoire, et la phrase : « les forces productives de l’humanité ont cessé de croître, les conditions du socialisme ne sont pas seulement mures, elles ont commencé à pourrir », serait une sorte de mantra que les militants de l’OCI répètent à l’envie. La question du sens ne sera pas posée. Comme le disent les auteurs, c’est la fonction de cette phrase dans l’homogénéisation du groupe qui est intéressante (p.48). On est dans la dynamique des groupes...
En réalité le programme de transition est bien plus qu’un programme, c’est une méthode et j’ai prétendu, sur mon blog Mediapart, que LAEC était, comme avait pu l’être le programme de Thessalonique de Syriza, un programme de transition, c’est à dire un ensemble de mesures créant une insupportable tension entre le Capital et le Travail, et partant le facteur d’une dynamique.
Et c’est tout ce qui fait l’intérêt, selon moi, de l’aventure de Mélenchon et du mouvement FI, même gazeux.
Pour dire un mot de la filiation Lambert-Mélenchon, je crois que la question est mal posée. Tout d’abord, l’insistance sur le trotskisme du jeune Jean-Luc Mélenchon, me paraît extrêmement factice. Oui, J.L.M., à Besançon, a fait un G.E.R. et a été coopté à l’OCI. Il y a appartenu deux ans, et s’en est éloigné. Dans les quatre cent pages du livre on ne trouvera pas un seul fait qui concerne l’activité militante du jeune trotskiste JLM. Oui ! Il a été responsable de la section de l’UNEF à Besançon. Cela est certain. Je crois avoir lu quelque part qu’il avait soutenu à cette époque le mouvement autogestionnaire de Charles Piaget, les LIP ! À tort ou à raison, l’OCI condamnait l’autogestion. Il n’y a pas grand-chose à dire sur ce sujet. Comme des dizaines de milliers de jeunes après 1968, JLM, qui se voulait du côté des ouvriers, n’a pas été tenté d’adhérer au PCF. Il a lu quelques textes de Léon Trotski et s’est d’abord engagé de ce côté, puis, rapidement, il a rejoint le parti socialiste qui correspondait bien mieux à ses aspirations politiques.
Je ne suis pas davantage convaincu par l’emphase à propos du trotskisme de Lionel Jospin. Élève de l’ENA, donc futur haut fonctionnaire, Jospin a longtemps écouté Boris Fraenkel, puis Lambert. Il a ainsi acquis une solide formation économique, historique et politique, qui est venue compléter celle qu’il recevait par ailleurs comme futur serviteur de l’État. Il a bien fait et cela lui a réussi. A-t-il un moment pensé qu’un jour il serait de ceux qui renverseraient la dictature du Capital ? C’est possible, mais j’en doute. Lambert, lui, a considéré que Jospin était une carte dans son jeu. Ce n’était pas le cas. D’ailleurs, quel jeu (j’y reviendrai) ?
Le cas de J.C. Cambadélis est différent, mais pas tellement. J’ai été le prof de maths de Cambadélis,
en terminale, et je lui ai vendu une carte de l’AJS, nous avons parlé, je l’ai incité à lire tel ou tel texte de Trotski. Ensuite il a rejoint l’OCI et, comme dirigeant de l’UNEF, le Comité Central. Il m’arrive encore de prendre un café ou d’échanger des messages avec lui. Il a apprécié mon livre « ...Ni Tribun ». Dernièrement, lorsque Ségolène Royal s’est ralliée en février 2022 à la candidature de JLM, je lui ai conseillé –dans l’intérêt même de ses propres buts – de faire de même. Il m’a expliqué pourquoi cela ne rentrait pas dans ses plans. J’imagine que JCC a conçu le trotskisme ainsi que Jospin, comme la meilleure formation politique qui soit. Ensuite il a fait carrière dans le PS (ma fille, qui habite dans le 19ème, m’a assuré qu’il était un bon député), il a fait « des affaires », s’y est pas mal égaré, a été sanctionné par la justice. Depuis, il continue sa route, qui n’est pas la mienne. Je n’ai pas le goût de juger les gens.
Qu’est-ce qu’être trotskiste ? Je ne pense pas que ce soit une bonne question. Si je me la pose...je dis que je suis, depuis le tout début de ma vie consciente, du côté du monde du travail. Dès mon enfance, et sans doute parce que l’ouvrier transforme la matière, il produit, il crée. Puis j’ai pensé, plus tard (adolescent), sous certaines influences et lectures, avec Ricardo, que le travail est la seule source de valeur, avec Marx qu’il y a des classes sociales et une lutte des classes. J’en suis venu à souhaiter que la classe des travailleurs renverse la domination de la classe de ceux qui possèdent le Capital, et dirige la société.
Avec Lénine, j’ai été convaincu que dans ce combat il faut un rassemblement d’avant garde, un parti à la fois démocratique et fermement organisé.
Avec Trotski j’ai admis que la révolution d’Octobre 1917 a été trahie par la camarilla autour de Staline et que les partis dits « communistes » qui ont suivi ses directives n’étaient pas des alliés du mouvement ouvrier, mais des adversaires. De la lecture de Trotski j’ai aussi appris qu’on pouvait être à la fois honnête, lucide et habile. Toutes ces convictions guident encore ma pensée et mon action, elles sont à mes yeux parfaitement adaptables à notre époque. Elles sont même, plus que jamais, DE notre époque.
En ce sens, je ne vois pas d’inconvénient à me dire « trotskiste », même si je pèse ce que voulait dire Karl Marx en affirmant qu’il n’était pas « marxiste » : ce qui prime c’est ce qu’on apprend, avec ce qu’on a appris.
Par conséquent, je ne pense pas que Lionel Jospin, estimable premier ministre « homme de gauche », ait jamais été trotskiste. Quand il déclare aux ouvriers de Michelin à Clermont « L’état ne peut pas tout », cela signifie, pour moi : « Je suis à la tête de l’état, mais je ne peux rien pour vous, je ne suis pas des vôtres » il dit sa vérité. Et bien sûr, par cet aveu maladroit, qu’il faut sans doute tout de même attribuer à une complexité psychologique créée par ses contacts avec des trotskistes, il signe son échec pitoyable (derrière Le Pen !) à l’élection présidentielle.
De même, Mélenchon, avec derrière lui vingt ou trente années de Sénat comme « socialiste » (je rappelle pour les inattentifs que le parti « socialiste » n’est en rien socialiste au sens de Marx ou d’Engels), qui tout à coup écrit un « Hareng de Bismarck » stupidement chauvin et un « L’Ère du Peuple » qui tourne le dos à la conception d’une société divisée en classes, qui s’enflamme pour des conceptions populistes péronistes « de gauche » intellectuellement minables, n’a jamais été trotskiste.
Nos positions, nos convictions vivent et évoluent en même temps que nous, et ainsi révèlent aujourd’hui ce qu’elles sont, ce qu’elles étaient, dès le départ.
Mélenchon n’est pas trotskiste, ne l’a jamais été, ni bien sûr lambertiste. Les similitudes entre ces deux personnalités, que révèlent M&S n’ont, selon moi, guère de sens. L’un et l’autre n’aiment pas qu’on les contredise. Ils ne reconnaissent pas leurs erreurs. Il s’entourent de dévots et éliminent ceux qui peuvent leur faire de l’ombre… Oui, on peut dire cela de Lambert comme de Mélenchon. Mais aussi de Guy Mollet, de Jacques Duclos, de Georges Clémenceau, de Napoléon premier, de Gengis Khan, de Charlemagne, de César, et de centaines de dirigeants ! Il y a même, et à foison, des hommes et des femmes présentant les mêmes défauts et le même profil à la tête des rédactions de grands périodiques, parmi les chefs d’entreprise, les dirigeants syndicaux, le sacré collège des cardinaux et jusque dans les familles les plus ordinaires...
Il y a cependant une similitude entre ces deux hommes, Mélenchon et Lambert, tout aussi banale, mais plus importante à mes yeux, c’est qu’ils sont tous les deux spontanément et toute idéologie mise à part, du côté des travailleurs.
C’est évident pour Lambert, issu d’un milieu ouvrier, qui a consacré sa vie au mouvement ouvrier, et de manière plus surprenante, mais claire, c’est le cas de Mélenchon, petit bourgeois d’origine qui, sénateur d’un parti absolument pas socialiste, militant qui a perdu trente année de sa vie dans des manœuvres aussi compliquées que vaines, l’a toujours fait, du moins, dans le sens d’un réformisme sincère, en faveur du travail. Et depuis qu’il est sorti du PS, accédant ainsi au devant de la scène, à chaque moment « chaud » de la lutte des classes, il s’est montré, quitte à déchaîner la haine des classes dominantes, du côté, non du peuple-citoyen, mais du peuple travailleur. On se souvient par exemple de l’affaire « de la chemise arrachée ».
Nos auteurs lui font grief de n’avoir pas condamné les exactions des jeunes, commises durant les émeutes consécutives au meurtre de Nahel par un policier en juin 2023. Jamais le mouvement ouvrier n’a approuvé, ni accepté, les pillages. Mais c’est la domination des classes capitalistes qui suscite la violence et le chaos social. Il n’appartenait pas à Mélenchon de jeter la première pierre aux jeunes révoltés.
Mélenchon aurait commis, selon M&D, une grave faute morale en hésitant à utiliser le mot de « terroriste » à propos de l’agression du Hamas qui a eu lieu contre Israël le 7 octobre. Là encore, j’y vois au contraire, la réaction d’un honnête homme : oui, les hommes du Hamas se sont conduits ce jour-là comme des barbares. Mais qu’est-ce qui en a fait des barbares, sinon quatre vingt ans d’occupation, de vols de terres, de meurtres, de massacres, de bombardements aveugles, commis par l’occupant israélien ? Du reste, le peu d’empressement de Mélenchon à se montrer ce jour là solidaire de la société israélienne ne lui a pas nui auprès du peuple travailleur, contrairement à ce qu’ont voulu croire nos auteurs. La terrible vengeance génocidaire des israéliens contre la population gazaouie toute entière qui se déchaîne depuis lui donne plutôt, rétrospectivement, raison.
J’ai beaucoup de critiques politiques à adresser à J.L.M., mais qu’il soit passionnément du coté des exploités et des opprimés, jusqu’à la maladresse, peut-être (Ruffin a été plus habile), je ne peux certainement pas le lui reprocher.
Pas non plus (contrairement à M&S) d’avoir refusé d’appeler à voter Macron aux seconds tours des élections de 2017 et de 2022 qui ont opposé Macron à Le Pen.
La démocratie parlementaire, c’est peu de chose, mais ce n’est pas rien. On nous donne un bulletin, utilisons-le. Mais un leader qui se situe du côté du peuple travailleur n’appelle pas à voter pour le banquier. N’appelle pas à voter pour les patrons. N’appelle pas à voter pour l’ennemi de classe.
En réalité, il me semble qu’il y a bien une filiation, une sorte de continuité politique, à relever , non pas entre les personnalités Lambert et Mélenchon, mais entre le mouvement FI suscité par Mélenchon, et ce qu’était l’OCI. Ce n’est pas un hasard, ni une sorte d’atavisme (mot utilisé par M&S !) si les militants du POI participent, avec leur logique politique propre, à ce mouvement.
Cette continuité, c’est quelque chose qui n’est pas sans rapport avec la mémoire du mouvement ouvrier révolutionnaire.
Selon M&S, à propos du « tournant de la rigueur », en mars 1983, c’est à dire quand le gouvernement de Mitterrand-Mauroy, se soumet aux diktats des classes dominantes (sous couleur de rester dans le système monétaire européen), Jean-Luc Mélenchon a confié que pour s’y opposer, il aurait fallu un mouvement social et, dit-il avec un fatalisme sidérant : « Il n’y a pas eu de mouvement social ».
Toute une série de questions fondamentales sont posées par ce moment, questions qui concernent tant l’action que l’on va dire lambertiste des trente années précédentes que ce qui surgira de l’aventure mélenchonienne vingt-cinq ans plus tard.
Lambert, l’OCI, « nous » voulions construire un parti révolutionnaire solide, démocratique et discipliné pour apporter une contribution décisive au renversement de la dictature du Capital.
M&S ont longuement décrit comment Lambert a tissé tout un réseau de « sous-marins », de contacts et de relais dans toutes sortes de milieux politiques, syndicaux, associatifs... En soi, un tel dispositif n’est certainement pas contraire à la conception léniniste : « Il peut y avoir une activité bolchevique même dans la chambre du Tzar ».
Mais dans quel but ? Toute la question est celle du but.
Les historiens (plutôt d’ailleurs les plus réactionnaires) appelaient Louis XI l’universelle araigne, parce qu’il concluait des alliances secrètes avec de nombreux partenaires. Mais il avait un but : écraser les anciens feudataires, faire émerger une autorité royale centrale puissante. Et il y est parvenu entre son accès au pouvoir et sa mort, en à peine plus de vingt ans (1461 – 1483).
À quoi ont abouti les efforts de Lambert, les milliers de militants organisés, les positions syndicales, les courants plus ou moins contrôlés dans différents partis… dans la Libre Pensée et même dans la franc-maçonnerie ? À ceci qu’au moment où « la gauche au pouvoir » se couche, « l’avant garde » (sic) qui a fait voter Mitterrand trois ans plus tôt, sans conditions, ne tente rien, n’ouvre pas la bouche. Elle s’avère incapable d’aider les classes travailleuses à réagir.
Mais alors l’avant-garde ne sert à rien !
En 1968, la FER a été capable le 4 mai de se faire l’écho d’une exigence : que les travailleurs viennent au secours des étudiants face à la police. Et il y a eu une immense manifestation de travailleurs à Paris le 13 mai. Puis la même, avec l’O.C.I. s’est fondue dans la Grève Générale avec quelques efforts pour la centraliser ( Comité Central National de Grève), et la renforcer (« Ne signez pas ! »). Mais nous n’étions que quelques centaines.
En 1983, nous étions des des milliers. Mais contre le tournant « de la rigueur », il ne s’est rien passé.
La grande grève des mineurs anglais s’est déclenchée. Elle a été vaincue deux ans plus tard.
Et pendant les vingt années suivantes, c’est une sorte de désert politique, dans lequel on entend tomber le mur de Berlin, puis s’effondrer l’URSS, le pouvoir transitant d’une bureaucratie corrompue à une oligarchie mafieuse.
Certes la classe ouvrière combat : le plan Juppé contre les retraites suscite une grande grève qui obtient un succès partiel. Dans ce désert, durant les années Mitterrand, le P.C.F. poursuit son profond déclin (depuis 1975), quand au PS, il prend un grand coup sur la tête en 2002 : son candidat, Jospin, est devancé par Jean-Marie Le Pen… quelle claque ! et c’est Jacques Chirac qui est réélu.
En 2005 il y a le combat contre le traité européen. Il vient bien tard. Fabius (oui !) était plutôt hostile, en 1983, à la « rigueur », il a défendu l’idée d’une sortie du S.M.E. En 1992, il y a eu le Traité de Maastricht, auquel Mélenchon a fait la faute de se rallier. Mais en 2005, c’est à nouveau Fabius qui, contre la direction du PS émet de tels doutes sur la pertinence du « OUI » (on pense aux doutes de Giscard, en 1969 concernant le Referendum de de Gaulle), que cela disloque les lignes et favorise la victoire du NON.
Ce succès réveille la gauche dite « radicale » (dans laquelle les lambertistes sont alors peu visibles), mais renforce aussi le Front National.
La première, c’est à dire la gauche sauf le PS, se retrouve, à l’élection de 2007 éparpillée en cinq candidats qui totalisent un peu plus de 10 % des voix, Ségolène Royale obtient presque 26 % au premier tour, elle est battue ensuite par Nicolas Sarkozy.
Cinq ans plus tard, en 2012, le compagnon de Ségolène, François Hollande, fait un peu plus, 28 % au premier tour, et gagne le second tour.
Mélenchon est candidat avec le soutien du PCF. Il est quatrième avec un peu plus de 11 %. Il est largement devancé par Marine Le Pen, qu’il a fait la grosse erreur d’appeler « la folle »… Mais ces 11 % vont bien au-delà de l’électorat du PCF (2 ou 3%). Quelque chose commence à surgir qui n’est représenté par aucune force politique identifiée.
Dans les années suivantes cette émergence va se précipiter.
François Hollande n’a aucun besoin ni d’un « Congrès de Bad Godesberg » pour affirmer l’horizon indépassable du libre marché, ni d’un « tournant de la rigueur ». Il inscrit toute son action dans les objectifs de l’oligarchie libérale européenne.
En 2017, Hollande ne peut pas même oser se représenter. Son poulain, Manuel Vals, est battu aux « primaires du PS » que gagne le candidat le plus « à gauche », Benoît Hamon.
Finalement, son parti perd ses adhérents (l’effectif passe en quelques années de 160 000 à 40 000) et ses électeurs (de 28 % à 6%).
Soit dit en passant, le fait que le PS s’effondre parce que son élu a fait ouvertement une politique antisociale donne une indication sur la réponse correcte à la question : le PS est-il d’une quelconque manière un parti « ouvrier » ? La réponse, même avec réticences et réserves, est OUI.
Pour ses militants et pour ses électeurs, ce parti aurait dû conduire une politique favorable au peuple travailleur. Après l’échec de Jospin, après l’échec de Royale, c’est le « succès » de Hollande qui casse les reins du PS.
Ainsi, trente ans après la victoire de François Mitterrand, la gauche « historique » PC-PS, est réduite à presque rien.
Et quelque chose d’autre a surgi. Je ne pense pas seulement aux 19,58 % des voix obtenues par Mélenchon, mais aussi aux presque six cent mille citoyens qui lui ont donné, dans la campagne, leur nom, leur adresse internet et de l’argent.
Au plus fort de notre organisation, l’OCI, nous étions six mille. Six mille militants, libres des dogmes des défenseurs du « marché », mais libres aussi des mensonges et des illusions portés par le PCF et le PS qui composaient la gauche depuis 1914.
Au vu de notre impuissance lors du « tournant de la rigueur » les militants se font la malle. Ceux qui restent se réfugient dans des activités syndicales honorables, mais lorsque Gluckstein s’en avise et note que la dimension proprement politique a disparu, il ne semble pas qu’il soit en mesure de proposer d’autres solutions qu’une nouvelle scission.
En avril 2017, la position que prennent les six cent mille soutiens de Mélenchon est, en un sens, comparable : ils ne sont dupes ni du capital, ni du PCF, ni du PS. Ils sont cent fois plus nombreux.
Je dis qu’en un sens, c’est une résurgence de ce qui s’est perdu en 1983.
Seulement les six cent mille ne sont à peu près pas organisés. En mai 2017, Jean-Luc Mélenchon avait la possibilité immédiate de créer le plus grand parti de gauche de France, simplement en faisant imprimer cinq cent mille cartes de la FI (avec l’excellent logo φ), en faisant rédiger des statuts (il y a déjà beaucoup d’éléments de programme), en convoquant un congrès de fondation.
Il ne l’a pas fait. Il n’a pas non plus profité de sa position ultra dominante à gauche pour tendre la main à tous et faire la NUPES en 2017 plutôt que cinq ans plus tard. Ainsi, il a gravé en 2017 son échec en 2022.
Pourquoi a-t-il agit ainsi, et produit-il les explications délirantes relatives à un mouvement « gazeux » destiné à éviter les querelles ? La réponse lui appartient. Ce qui est certain c’est qu’à tous les niveaux, la FI est aujourd’hui agitée par des querelles.
En même temps –et cela en dit long sur les dommages produits par la rupture de continuité politique— beaucoup trop de militants acceptent de bon cœur l’absence de démocratie, l’acquiescement à tout ce que dit et fait le chef… s’écharpent sur des surenchères féministes : parité obligatoire à tous les niveaux, comités non mixtes... exigent l’expulsion d’un jeune député qui a eu un mauvais geste à l’encontre de son épouse… ne soupçonnent pas que l’on puisse débattre de questions politiques.
L’objet formel de l’association France Insoumise (qui ne comprend que trois membres) est de soutenir les campagnes présidentielles de Mélenchon.
On peut dire qu’à la base de ce choix, il y a une sorte de blanquisme électoral de Mélenchon.
Auguste Blanqui (1805-1881), pour qui Marx avait le plus grand respect (« il est la tête et le cœur du parti prolétaire français ») considérait que l’égalité sociale ne pouvait être réalisée que par un coup d’état, par les armes. Il n’accordait aucune importance aux élections.
Mélenchon, au contraire, joue tout son projet sur une élection, la présidentielle. Il néglige toute l’action sociale et politique complexe qui permettrait justement un tel succès (son mouvement perd régulièrement toutes les élections intermédiaires et il éprouve même chaque fois de grandes difficultés à réunir les cinq cent parrainages exigés) et surtout ce qui serait nécessaire pour qu’une accession au pouvoir ne se traduise pas, comme en 1983, par un spectaculaire recul.
Gazeuse, la FI n’évite pas les querelles, mais, dépourvue de cartes, de cotisations, de statuts, de congrès, de dirigeants élus, elle est incapable de construire quoi que ce soit, et de s’implanter dans le peuple travailleur.
Le fait que le POI soutienne Mélenchon et la FI, me paraît politiquement sensé, en raison de ce que j’appelle une résurgence, si fruste soit-elle, d’un courant anti capitaliste libre des organisations traditionnelles, PCF, PS, qui ont tellement failli.
Mais que le POI n’utilise pas son influence pour que se tienne un congrès de fondation démocratique de la FI, c’est une faute majeure, qui reproduit à peu près, quarante ans plus tard, le soutien « inconditionnel » à Mitterrand, c’est un aveuglement.
Ce qui peut se produire, en l’absence d’un tel congrès de fondation démocratique, c’est maintenant la liquidation conjointe de la FI et de la NUPES.
L’heure de vérité arrive, avec les fascistes en embuscade.
Que les Shapira, Corbière, Ruffin, Coquerel, Garrido, Simonnet et autres prennent leurs responsabilités.
Le coupable n’est pas le chef (aujourd’hui Mélenchon, hier Lambert) qui prend toute la place.
Il n’est qu’un homme, d’ailleurs valeureux.
Ce sont ceux qui le laissent faire.
JPB