J’ai lu avec sympathie, parce que j’y ai vu mes propres espérances déçues, le livre de Jean-Pierre Boudine, Critique de la raison gazeuse (éditions « À plus d’un titre », 12 €).
Partisan et militant de LFI, Boudine essaie de comprendre le phénomène LFI, de resituer dans l’époque historique et de proposer des solutions pour l’avenir. Il propose la constitution d’un grand « Parti éco socialiste démocratique » qui seul pourrait permettre une transformation sociale, utilisant les voies légales, dans notre pays. Il prend aussi la défense de la NUPES, comme exemple même d’une stratégie politique intelligente.
J’ai des désaccords de fond avec cet auteur, notamment sur cette histoire de « gauche » à unir en oubliant soigneusement la question clé qui est celle de l’Europe et de l’atlantisme invétéré des Verts et du PS… et d’une partie des LFI. Mais un grand parti socialiste démocratique, c’est une perspective qui me va bien et quand il verra le jour, je prendrai ma carte, en même temps que Jean-Pierre Boudine. Mais on connait la chanson québécoise, composée par Raymond Lévêque, « quand les hommes vivront d’amour, il n’y aura plus de misère… » qui se termine par « Mais nous, nous serons morts, mon frère ».
Jean-Pierre Boudine veut sauver LFI qui lui semble la chose politique la plus intéressante depuis un siècle. Mais l’obstination de Mélenchon à ne pas vouloir en faire un parti démocratique serait le principal obstacle à son développement. À la fin, il met en garde : si Mélenchon s’obstine, il va détruire LFI. Mais, on ne doit pas envisager le pire, dit-il.
Quant à moi, je suis certain du « pire ». Mélenchon est un archétype des « caudillos » trotskistes qui préfèrent détruire tout plutôt que de voir leur position contestée et laisser entendre que l’on peut se passer eux. Boudine évoque un parti que nous avons bien connu tous les deux, le PCI-OCI-PCI-POI qui est « le parti de classe » en dehors duquel Mélenchon construit le mouvement gazeux censé englober le peuple. Cet emboîtement s’est réalisé depuis au moins fin 2017 où le POI assura le SO de la manifestation LFI. Je sais que Mélenchon est resté lambertiste plus longtemps que les trois ans avoués, dans sa jeunesse… Son retour pour assemblée LFI au local du POI, au « 87 », avait tout l’air d’un « je retourne à la maison ». Et peut-être est-il le vrai chef secret de cette baraque — comme Hebert fut longtemps un des dirigeants principaux de l’OCI. Mais je crois être vacciné contre les illusions dans ce tribun promu sauveur suprême.
Comme je suis vieux (c’est notre triste lot), j’ai du mal à voir disparaître le monde dans lequel j’ai grandi et les idées qui m’ont formé. Mais il faut en prendre son parti : nous avons changé de période historique. Le conflit entre le peuple et les grands continue, mais sous des formes nouvelles. Le prolétariat n’a pas de mission révolutionnaire. Il ne peut que réagir aux coups qui lui sont portés. Les lignes de clivage anciennes sont mortes. Et surtout, l’immense majorité de « petites gens » (travailleurs dépendants et indépendants) ne se reconnaît plus dans le jeu politique. Elle a fait sécession (Guilluy, à mon avis, voit bien les choses). Il faut aussi nous habituer à cette idée que la « croissance illimitée des forces productives » ne sera pas au rendez-vous pour résoudre tous les problèmes du socialisme. Bref, c’est l’heure de la grande lessive théorique… En attendant, on peut lire le livre de Jean-Pierre Boudine qui est une utile contribution au débat.
le 22 mai 2023