- Arnaud Montebourg, L’engagement, Editions Grasset 2020, 416 pages.
Arnaud Montebourg a conçu son livre, L’engagement, comme l’annonce de son retour sur la scène politique et le premier test en vue d’une éventuelle candidature à la présidence de la République pour 2022. Si on cherche un programme et une stratégie, on risque d’être déçu. Car le propos n’est pas là. Il s’agit d’un récit plus thématique que chronologique de l’expérience gouvernementale du ministre du redressement productif devenu ministre de l’économie entre 2012 et 2014. Quelques retours en arrière et l’expérience de « Bleu, Blanc, Ruche » jettent des lumières sur le parcours d’Arnaud Montebourg, mais le centre du livre est bien un récit et un bilan de l’expérience gouvernementale. En 2013, mon ami Jacques Cotta avait publié L’imposteur (éditions Balland), consacré à la présidence Hollande. L’engagement vient apporter de l’eau à ce moulin. Vu de l’intérieur, le « hollandisme » est encore pire, si cela est possible, que ce pouvait montrer la simple connaissance des faits publics.
Deux moments clés dans ce livre : en premier lieu, la capitulation en rase campagne devant Mittal et la trahison, sans la moindre honte, des engagements de la campagne présidentielle, pris par Hollande, perché sur le toit d’une camionnette, faisant campagne devant les ouvriers de Florange, et leur assurant qu’il ne les trahirait jamais, qu’il ne serait pas un autre Sarkozy qui avait trahi les engagements pris devant les travailleurs de Gandrange. Mittal, le patron d’Arcelor, voulait fermer Florange et ne voulait surtout pas d’un repreneur qui aurait pu lui faire concurrence. Les efforts d’Arnaud Montebourg pour empêcher cette fermeture furent vains : il avait trouvé un repreneur — un entrepreneur français prêt à mettre de l’argent de sa poche — et préparé la nationalisation temporaire de l’usine de Florange afin de contourner l’obstacle Mittal. C’était peine perdue, car Hollande était décidé à céder à Mittal, comme il cède toujours aux puissants et, poignardant dans le dos le ministre du redressement productif, il donna directement son accord à Mittal. Commentaire de Macron : « le patron a baissé son bénard ». Hollande n’a pas agi sous la contrainte — une solution alternative existait — mais de par sa volonté indéfectible de se coucher et surtout de ne jamais être soupçonné d’être socialiste ! Pour cette trahison, il n’hésita même pas à se dresser contre toute la classe politique, puisque, de Mélenchon à Le Pen, tout le monde soutenait la nationalisation temporaire.
Le deuxième moment est l’affaire d’Alstom et de son démantèlement, là encore avec la trahison active de Hollande. Le rachat d’Alstom par General Electric est une véritable opération de flibustiers menée par le gouvernement américain, la justice américaine et leurs complices dans Alstom et au gouvernement. Cette opération a été rendue possible parce qu’Alstom était dirigée par l’un de ces représentants du patronat français de la pire espèce, le nommé Patrick Kron, menteur, dissimulateur, traître à son pays, cupide et dénué de tout scrupule. Là encore, une solution alternative émerge, notamment la fusion Alstom-Siemens-Mitsubishi qui aurait fait naître un géant capable de damer le pion à GE et de faire face à la concurrence chinoise. Mais, là encore, rien n’y fit. Hollande, sans remords, laissa vendre aux Américains une entreprise qui construisait, notamment, les turbines des réacteurs des centrales nucléaires. On sait que Macron a joué un rôle important dans cette opération. Les actionnaires, dont Bouygues se sont servis et tout ce monde ensuite se retrouve parmi les membres du « tour de table » qui lance la candidature Macron.
Beaucoup d’autres choses sont dites dans ce livre, sur les rapports France-USA ou France-Allemagne, sur les derniers mois du gouvernement Valls I et la démission de Montebourg sur la question de l’austérité et de l’obéissance aux dogmes de l’équilibre des comptes publics. Mais les portraits valent aussi qu’on s’y attarde. Le portrait de Hollande, un homme dépourvu de tout sens de l’honneur du pays, un petit caniche qui va faire le beau devant Mme Merkel, à peine élu, pour l’assurer que le « mon ennemi, c’est la finance » n’était qu’une saillie de bateleur en campagne et que bien sûr, il ne ferait rien contre la finance. De la lecture de Montebourg on ne peut tirer qu’un profond dégoût pour ce personnage, petit magouilleur incapable de rien prendre au sérieux des choses sérieuses. Montebourg aurait dû savoir, avant de s’engager au côté de cet olibrius, qu’il avait été l’un des « Gracques », ce « groupe de réflexion », patronné en sous-main par Jacques Delors et qui, au début des années 80, engagea un combat pour détruire ce qui restait de socialiste au PS et le transformer en parti libéral. Que le PS ait choisi pour le diriger cet homme-là résume complètement le parcours de ce parti à la dérive.
À côté de Hollande, le sinistre Jean-Marc Ayrault ne relève pas le niveau. Inamovible responsable du groupe socialiste au Parlement — il avait été surnommé Brejnev — l’ex-maire devenu « PM » n’a aucune idée, aucune vision internationale et juge de toutes choses en fonction de ses intérêts dans sa circonscription d’élection.
Macron est dépeint comme une sorte de Fregoli, un artiste italien, à cheval sur les deux derniers siècles, capable de changer de costume cent fois au cours du même spectacle. Montebourg aurait pu signaler que la photo de Fregoli dans Wikipedia montre une certaine ressemblance avec Macron. Ce dernier est encore comparé à Julien Doré, pour sa capacité à se mouler dans les interprétations des autres tout en les dénaturant. Transformiste et vedette de variété : voilà celui que Hollande a choisi comme secrétaire général adjoint de l’Élysée puis comme ministre de l’Économie. Montebourg avoue pourtant s’être laissé séduire avant de se rendre compte que ce jeu de séduction n’était bien qu’un jeu au service du président, un président pour lequel il manifeste clairement son mépris. Drôle de monde.
On n’oubliera pas la description des hauts fonctionnaires de Bercy, caste bien fermée de gens préoccupés d’abord de leur carrière, naviguant entre la fonction publique et le secteur privé, toujours prompts à vanter le risque, pour les autres, eux qui ne prennent jamais aucun risque. Pour tous ces gens, le bien public n’est qu’un vain mot, bien décidés qu’ils sont à résister à toute velléité politique qui pourrait mettre en question le système dont ils tirent le plus grand profit.
Que conclure de tout cela ? On ne peut s’empêcher, devant la description de cette calamiteuse classe politique, de penser que Daniel Cordier avait peut-être raison quand il affirmait que la France ne s’était jamais remise de l’effondrement de 1940 et de cette étrange défaite dont Marc Bloch diagnostique la cause dans la faillite des élites. De Gaulle, maître des illusions, nous avait fait croire que nous avions surmonté le traumatisme de la débâcle, mais Arnaud Montebourg nous montre une caste de gens qui ne croient à rien, surtout pas à leur pays, et sont surtout avides de ramper devant leurs maîtres américains et leurs sous-maîtres allemands.
Comment sortir de là ? Tout le livre tourne autour du slogan de Montebourg, « made in France » qui seul devrait permettre de sauver l’emploi et la vitalité du pays — un pays dont l’appareil industriel n’a cessé de se défaire et dont le poids dans le monde est en passe de devenir négligeable. Mais le « made in France » suppose que l’on torde le bras de la classe capitaliste française qui n’y est nullement intéressée. Montebourg fait l’éloge du PDG de PSA, Tavarès, mais Tavarès est devenu dirigeant de Stellantis dont le siège est aux Pays-Bas et qui se prépare à tout miser sur la mondialisation de la production, en utilisant pleinement les usines FIAT en Pologne ou Citroën en Chine. Montebourg, sorte de saint-simonien rêveur, appelle de ses vœux une alliance entre le patronat patriote et les ouvriers. Mais qui, Montebourg mis à part, souhaite une telle alliance ? Où sont les forces sociales et politiques qui pourraient la porter ? Réhabiliter le rôle de l’État ? Fort bien, mais qui le souhaite ? Et contre qui faudrait-il l’imposer ? Et surtout comment est-ce possible tant que la discipline politique principale est celle de l’UE, au sujet de laquelle on regrettera que l’auteur soit si discret. La « démondialisation » serait une rupture brutale et provoquerait des affrontements sérieux, d’autant les couches attachées idéologiquement et matériellement à la mondialisation sont loin de se limiter aux seuls grands patrons.
Il y a plusieurs autres questions sur lesquelles nous n’avons aucune véritable piste. Par exemple, la fameuse « transition énergétique ». Montebourg rappelle qu’il avait créé de nombreux groupes de travail sur des questions engageant l’avenir — ainsi un groupe travaillait sur la voiture consommant 2 litres au cent, une idée bien plus intelligente que la folie de la voiture électrique. Tous ces groupes ont été dissouts par Macron. Mais que propose le potentiel candidat Montebourg ? On peut espérer avoir prochainement des réponses, mais le temps commence à presser !
Un livre à lire, donc. Mais un livre qui souligne dramatiquement l’urgence de reconstruire une pensée et un mouvement socialistes dignes de ce nom.
Denis COLLIN — 11 mars 2021