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Diego Fusaro : Golpe globale. Capitalismo terapeutico e Grande Reset

jeudi 23 septembre 2021, par Denis COLLIN

Diego Fusaro : Golpe globale. Capitalismo terapeutico e Grande Reset

Coup d’État global : voilà le diagnostic que le philosophie italien Diego Fusaro porte sur la politique de la plupart des gouvernements dans son dernier ouvrage qui vient de paraître aux éditions PIEMME. Ces gouvernements suivent des politiques semblables non parce qu’ils se seraient mis préalablement d’accord pour comploter, mais parce qu’ils sont tous l’expression de la cette classe capitaliste globale, dominée par le capital financier et, par conséquent, tous saisissent l’opportunité donnée par la pandémie du coronavirus SARS-2 (connu sous le nom de Covid-19). Fusaro y voit une application de la « stratégie du choc », analysée il y a quelques années par Naomi Klein. La « quatrième de couverture » annonce la couleur : « Le pouvoir utilise habilement le covid 19 à son propre bénéfice pour renforcer sa structure, pour abattre les limitations restantes à la globalisation et neutraliser le dissensus croissant envers les élites. »

Il faut lire le livre. Et il faudrait qu’il soit traduit en français… Les traducteurs ne manquent pas, les éditeurs prêts à se jeter à l’eau, si ! Car Fusaro ne joue pas aux virologues, aux épidémiologues et aux docteurs médiatiques qui dans tous les pays ont dominé l’actualité, se prenant pour les maîtres du monde. Fusaro ne parle que de politique. Le « grand reset » n’est pas une de ses inventions. C’est un programme annoncé publiquement par les représentants des « élites » mondiales, notamment les organisateurs du « forum de Davos ». Parmi les très nombreux articles que nous avons consacrés sur « La Sociale » aux politiques « sanitaires » et à leurs funestes conséquences, on trouvera iciet des articles précisément consacrés au « grand reset ».

Diego étudie avec précision les grands axes poursuivis par « les maîtres du monde » ou ceux qui se croient tels. Et pour mener cette étude, il nous propose de « penser autrement » (ce qui est le titre d’un autre de ses livres). « Par l’expression “penser autrement”, j’entends un exercice de réflexion critique (de “pensée méditante”, en termes heideggeriens) visant à “nettoyer notre regard” des automatismes irréfléchis du récit dominant qui, sous la bannière du nouveau dogmatisme scientifique, prétend être la seule manière possible de délimiter les concepts et de narrer la réalité par le discours. En particulier, “penser autrement” signifie, dans ce cas, s’aventurer au-delà du discours médico-scientifique, qui s’est d’emblée érigé de manière monopolistique en seul régime de vérité, pour tenter d’élaborer un cadre conceptuel philosophico-politique différent ; un cadre qui tente d’expliquer l’ordre de la réalité et, en même temps, celui du discours qui l’a jusqu’ici exprimé et façonné linguistiquement. » Il montre la cohérence d’un discours qui vise à interdire toute pensée dissidente, cohérence d’un discours qui renverse systématiquement le lexique et les expériences du passé. Ainsi, il note que jadis on parlait de « porteurs sains » pour ce que l’on appelle aujourd’hui des « malades asymptomatiques ». La référence est la même, mais le changement d’une expression par l’autre, une autre qui plus est un oxymore, dit clairement dans quel monde nous sommes entrés, un monde dominé par une « novlangue » très exactement orwelllienne.

« Le résultat a été une Grande Réinitialisation, comme on l’a appelée dès le début : c’est-à-dire une réorganisation globale du mode de production qui, loin de marquer une crise — comme certains l’ont soutenu — représente un renforcement de celle-ci. Ce renforcement est lié à la fois à la revigoration de structures déjà en place (classisme, désintégration des classes moyennes et populaires) et à l’accélération de processus déjà en cours (passage à la société numérique, marginalisation des procédures parlementaires, individualisation des masses, déconstruction des vestiges de la souveraineté populaire). En gros, face à l’épiphanie de l’urgence épidémique, le bloc oligarchique néolibéral s’est immédiatement employé à la tourner à son avantage et, en synergie, à empêcher les classes dominantes de s’organiser pour faire valoir leurs revendications et éventuellement changer l’ordre général du mode de production à leur avantage. »

Fusaro recourt au concept gramscien de « révolution passive » pour désigner la réorganisation globale du mode de production capitaliste. Gramsci avait ainsi défini l’introduction du fordisme et les nouveaux modes de direction du capital. La réutilisation de ce concept aujourd’hui semble particulièrement pertinente — soit dit en passant, à la différence des bavards médiatiques qui citent Gramsci à tout bout de champ et sans l’avoir lu, Fusaro l’a lu et lui a même consacré deux livres. Cette « révolution passive » conduit à un nouveau totalitarisme qui met en pièces les nations, les traditions, tout ce qui fait les communautés humaines. La « distanciation sociale » est une affaire très sérieuse : elle indique que, pour paraphraser Plaute repris par Hobbes, désormais «  homo homini virus » (l’homme est un virus pour l’homme) et non plus un associé, un être social, comme le définissait la tradition d’Aristote et des stoïciens. En suivant les propositions de Giorgio Agamben, Fusaro montre que le totalitarisme réduit toujours la vie humaine, une vie riche de sentiments et de significations, à la vie nue, la vie animale, qu’il s’agit de sauver coûte que coûte, au prix même de notre humanité.

Fusaro propose toutes sortes de pistes d’analyse qui concernent aussi bien la politique présente (par exemple le rôle d’un Mario Draghi, actuel chef du gouvernement italien) que les questions philosophiques les plus essentielles. Mais les analyses débouchent sur une pratique : « Sur ces bases de contestation théorique doit donc se greffer une pratique de résistance-opposition qui opère dans une triple dimension : (a) le rejet des symboles et des pratiques du nouveau capitalisme infectieux, du masque porté toujours et dans tous les cas, comme un uniforme, à l’auto-isolement dépressif, de l’expulsion de l’autre, compris comme un agresseur et un ennemi, à l’acceptation passive du “télétravail”, du “télé-enseignement” et des autres diktats de la nouvelle barbarie technologique ; b) la reconquête d’espaces sociaux réels qui, sous forme d’assemblée et de rencontre des regards et des corps, font prévaloir le désir de liberté et de vie de chacun sur la peur de la mort ; c) la création d’un mouvement ou, si l’on préfère, d’un sujet révolutionnaire qui lutte pour la reconquête de la souveraineté populaire comme base d’une démocratie socialiste jusqu’alors absente et qui, par conséquent, rejette inconditionnellement les pratiques et les discours du pôle dominant, même dans sa variante thérapeutique-santé. »

Tout cela est brillant et instruit. Il faut lire Fusaro et il est bien dommage que son œuvre soit aussi difficile à trouver dans la langue de Molière !