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La destruction organisée de la langue française, une stratégie implicite d’asservissement de masse

lundi 11 septembre 2023, par Pierre DELVAUX

Il suffit d’entendre les conversations autour de soi et les commentaires journalistiques dans les médias (latin : media) pour mesurer le degré de déliquescence de notre langue française. L’enjeu est majeur car il n’en va pas juste de querelles de style ou de modes. Le développement de la pensée humaine ne se fonde-t-il pas sur l’intégration et la maîtrise de concepts de plus en plus complexes et subtils qui n’existent que formulés dans le langage ? La maîtrise du Français, la découverte de la littérature et de l’histoire des langues conditionnent notre développement personnel et celui de l’ensemble de la société. L’absence de ces enseignements, l’appauvrissement du champ lexical nous condamnent à la régression et la décadence. Avant d’énumérer quelques exemples significatifs d’involutions communément partagées aujourd’hui dans la pratique du Français, je me risquerai à une ébauche d’analyse des causes de ce désastre.

Il est beaucoup question ces derniers temps de l’école, du classement de la France en matière d’instruction et, singulièrement, de la langue française et son évolution. Les items les plus entendus sur ces sujets sont qu’il faut « en revenir aux fondamentaux », « apprendre à lire et compter ». Dans les deux cas, c’est bien le moins que nous puissions attendre de l’école. Mais ce programme minimal semble être devenu pour les gouvernements successifs un chantier pharaonique, une folle ambition. Et en ce qui concerne le Français, la simple construction d’une phrase cohérente par nos jeunes semble être devenue l’ambition ultime tant des pédagogues que des académiciens. Quant à l’étude de la Littérature, elle semble ne même plus être un sujet. Un ancien Président n’avait-il pas dénoncé la lecture de La princesse de Clèves comme un exercice inutile ?

Ces dernières décennies, au nom du maître-mot d’ÉVOLUTION, l’opinion générale anone comme une évidence que les langues doivent suivre les modes du langage-parlé. Comme nous le savons, chaque nouvelle jeune génération s’invente des codes communicationnels dans son besoin d’affirmation et de différenciation par rapport à ses ainés. Mais il était d’usage, auparavant, de tolérer ces connivences syntaxiques entre les jeunes tout en leur rappelant que dans le reste de la société il convient de « parler correctement ». Le rapport semble aujourd’hui inversé, les adultes reprenant la syntaxe juvénile de peur, sans doute, d’être accusés de freiner la dite « évolution » (d’autant que les adultes sont aujourd’hui encouragés à se soumettre à leurs enfants comme en témoignent de nombreux spots publicitaires). Ce phénomène ne se caractérise pas seulement par l’emploi de locutions hasardeuses mais aussi par la simplification à tout prix : cela va plus vite à dire !...c’est plus court à écrire ! Nos contemporains semblent terrorisés face à la longueur nécessaire de certaines phrases. C’est sans doute ce qui les entraine à truffer de virgules inutiles les phrases longues qu’ils sont amenés à rédiger comme en témoignent celles mises à l’antenne par les chaînes de télévision. Je leur suggère ce conseil de Boileau : « Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse et ne vous piquez point d’une folle vitesse. Un style si rapide et qui court en rimant marque moins trop d’esprit que peu de jugement. »

Le constat accablant est là : la différenciation entre « langage-parlé » et « bon-Français » n’a plus cours aujourd’hui. La preuve en est la déconcertante avalanche de locutions à la mode agréées chaque année par l’Académie française. Même ceux qui sont censés être les gardiens
du Français deviennent les artisans de son dépeçage. Ce faisant, les institutions académiques et politiques s’inclinent face aux exigences d’une soi-disant modernité qui dissimule, en fait, les exigences du marché mondial. Car cette uniformisation basée sur toujours plus de simplification annihile le sens critique et favorise la consommation de masse. Sur le plan politique, elle induit un mode de pensée, une vision du monde qui ne saurait être remise en question au prétexte qu’elle serait partagée par tous. Et sur le plan économique, une communication de plus en plus minimale est susceptible d’agréger de plus en plus de consommateurs du monde entier autour des mêmes messages de promotion commerciale.

Depuis la nuit des temps, la tendance des masses au mimétisme a été exploitée par les divers pouvoirs aux quatre coins du monde. Ce calcul politique diversement décliné sur de multiples territoires dans le passé tend à s’unifier aujourd’hui dans un message et un champ lexical global au-delà même des différentes langues. Et en complément de la novlangue consumériste, le courant WOKE a entrepris de déconstruire sciemment le Français (et les autres langues) pour propager ses âneries. Cette déconstruction passe, entre autres, par la suppression de la prévalence du masculin lorsqu’on s’exprime dans le champ du général (c’est peut-être sous l’influence du wokisme qu’une journaliste déclarait : « La CEDEAO va-t-elle être prise au sérieuse ? »).

Consumérisme et wokisme se retrouvent sur une conception de l’évolution basée sur l’effacement. D’un côté, le progressisme hérité des encyclopédistes et du positivisme maintient l’homme moderne dans l’idée que par sa capacité d’invention il peut se réinventer indéfiniment et, de là, oublier l’ancien, le ringard (d’où « l’homme nouveau » au XXe siècle et « l’homme augmenté » aujourd’hui). Et d’un autre côté, le wokisme promeut le même « reset » permanent au nom, cette fois, de la diversité des groupes humains ; ce qui équivaut rien moins qu’à nier la conception même de Culture en tant que stratification universelle de savoirs et de concepts hérités de toutes les civilisations. Ce faisant, le wokisme sert les intérêts du marché en quête d’une offre à renouveler à l’infini, quitte à inventer de nouveaux comportements, de nouveaux mondes superposés les uns aux autres et auxquels nous devrions tous adhérer, même provisoirement.

Pour le système dominant, le Français n’a plus vocation à être enseigné et enrichi mais à être adapté et simplifié à l’infini. L’outil qui forge nos pensées doit refléter une pensée unique, donc se limiter et s’appauvrir toujours plus.

FLORILÈGE

À l’appui de ce constat, quelques exemples peuvent permettre de mesurer la déperdition de vocabulaire et de syntaxe qui affecte la société française. Ayant commencé par évoquer les codes langagiers de la jeunesse, je citerai un exemple typique de conversation entre jeunes filles actuelles. S’adressant à ses amies une jeune fille d’aujourd’hui commencera souvent son discours par : « De base... », ensuite elle ponctuera avec : « J’étais en mode... » et conclura par : « Je m’en bats les c... ». Comme je le précisais plus haut, il est de bon aloi d’avoir une certaine indulgence pour la jeunesse dans ses échanges internes mais il est symptomatique de remarquer que ce registre est partagé par des jeunes filles des milieux les plus huppés et qu’il tend à se généraliser chez les adultes. Nous sommes là face à un mimétisme dans le vocabulaire induit par des produits culturels numériques ou musicaux ciblant la jeunesse mais que reprennent à leur compte les adultes.

Cette complaisance démagogique par rapport au langage-parlé est frappante dans les médias (lat : media). On pourrait s’attendre à ce que les rédactions de Presse se sentent investies d’une responsabilité dans la sauvegarde du Français. Que nenni ! L’écoute des commentaires et des débats nous inflige jour après jour la désinvolture langagière de la plupart des journalistes même non débutants. Sans vergogne, ils usent dans leurs reportages d’expressions aussi vulgaires que : « rigoler » (pour « s’esclaffer » ou tout simplement « rire ») ou « balancer » (pour « lancer » ou « envoyer »).

Pour rester dans le vocabulaire en vogue, je relèverai que « la résilience » semble occuper tous les sujets ainsi que « les problématiques » (au lieu, tout simplement, des problèmes). Souvent, il-y-a « un bougé » (au lieu d’une inflexion). Au passage, il est amusant de noter la persistance de cette expression héritée de la novlangue du PCF des années 80. Marie-George Buffet l’employait ad nauseam. Les chroniqueurs politiques ont pris la suite.

Du vocabulaire à la syntaxe, il est intéressant de se pencher sur l’usage du verbe FAIRE. Il est mis en majesté dans les expressions « faire société » ou« faire nation », héritages du jargon sociologique des années 60. Mais le suremploi du verbe FAIRE révèle surtout une grande pauvreté dans le registre des verbes en usage alors que le Français en a une palette très variée pour une multitude de contextes précis. Les exemples d’abus de ce verbe seraient trop nombreux. Je citerai au hasard (entendu dans un JT) : « Ils ont fait des actions... ».

L’autre mésusage sans doute le plus répandu est celui du QUE à la place du DONT. C’est ainsi que quasiment tout le monde aujourd’hui dira : « Ce qu’on parle... ». Alors que, parallèlement, j’ai entendu : « Les femmes dont on rend hommage... » (au lieu de « à qui » ). Et pour raccourcir la phrase ou par flemme, plus personne n’hésite à dire : « Je suis d’accord que... ». Peut-on rappeler qu’on est d’accord pour dire que ... ou d’accord avec ... ou d’accord sur ... mais pas d’accord que...

Dans le même mouvement mimétique, SUR est très abusivement employé aujourd’hui dans deux cas différents. Premier cas, celui du déplacement géographique : « Je vais sur Paris ! » ( !?). Par parenthèse personnelle, le même mimétisme a entrainé mes contemporains à dire« en Avignon » ou « en Arles », coquetterie pseudo-littéraire héritée d’une chanson des années 70 et qui a contaminé jusque dans ma région où je vous assure que tout le monde disait auparavant et tout simplement : « Je vais à Avignon »ou « Je vais à Arles » tout comme il faut dire : « Je vais à Paris » (ou toute autre ville).

SUR est suremployé abusivement dans un autre contexte, à savoir l’évocation d’un sujet, quel qu’il soit. Au lieu de dire : « Il s’agit de... » ou : « ce dont nous parlons... » , n’importe quel sujet est aujourd’hui introduit par : « On est sur... » . J’explique cette sale manie par la mode des émissions TV consacrées à la cuisine. Si l’expression « On est sur... » est justifiée dans le cas d’une dégustation de vin ou d’un met, elle devient ridicule en étant systématiquement employée pour tout autre sujet.

Autre faute reprise à l’infini : « Ça s’empire ». Rappelons que empirer n’est pas un verbe pronominal. Il n’y-a donc pas lieu de l’affubler d’un S’ même si l’Académie française le tolère (comme elle tolère tout le reste).

L’usage généralisé du ce pour évoquer des personnes est particulièrement inélégant. Ce s’applique aux choses. Pour commencer une phrase évoquant une personne, il est vulgaire et désobligeant d’employer « C’est ». Il convient de dire « Il (ou elle) est ». Certains, en commentant l’image d’une personne, vont même jusqu’à dire : « Ça, c’est la ministre... ». Quel tact !

Pour finir, j’évoquerai un exemple significatif des graves conséquences où peuvent nous entrainer les dérives langagières. Au fil de la couverture médiatique de la guerre en Ukraine, on a entendu se banaliser chez les journalistes télévisuels le terme « TAPER » pour désigner des bombardements. Si on peut comprendre que des militaires sur le champ de bataille emploient entre eux cet euphémisme, il est choquant qu’il soit repris par des journalistes. Une chatte tape ses petits chatons pour les éduquer et c’est bien anodin. Concernant le compte-rendu d’un bombardement, le terme est indécent. Lors de la guerre du Golfe en 1990, les médias (lat : media) employaient le terme « FRAPPES » et nous étions nombreux à le trouver déjà inapproprié, en deça du réel. « TAPER » est bien pire pour désigner des tirs d’artillerie qui massacrent des combattants ou des civils. Mais, ne nous y trompons pas, cet euphémisme contribue à banaliser un contexte belliqueux voire à susciter un conditionnement à l’état de guerre.
Ce dernier exemple illustre jusqu’où peuvent entrainer les négligences dans l’usage d’une langue. L’habitude généralisée d’employer des mots à tort et à travers nous amène à vider de sens nos échanges pour finalement nous contenter d’enregistrer un bruit de fond familier : celui de l’époque. Une fois celle-ci révolue, peut-être que quelques traces du Français subsisteront, sauvées des ténèbres par de dévoués copistes !?... Le Français. Une langue magnifique.

Pierre Delvaux
Le 10.09.2023

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