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…remarques sur le texte enchanté de JF Collin

samedi 5 mars 2022, par Gabriel GALICE

…remarques sur le texte enchanté de JF Collin

  • Excuser ? Justifier ? Ou comprendre ?

Le prêtre catholique administre l’absolution, le juge accorde (ou non) les circonstances atténuantes, le chercheur veut comprendre. L’irénologue suit l’adage vis pacem cole justiciam [1].

Les chercheurs sur / pour la paix reprennent (entre autres) à leur compte deux principes : la troisième loi de Newton sur l’action et la réaction et le devise de Spinoza : ne pas rire, ne pas pleurer, ne pas détester mais comprendre.

Les remarques ne reprennent pas toutes les assertions (ou omissions) de JFC mais seulement celles qui apparaissent essentielles. Son texte enchanté présente le défaut majeur d’une irritation qui laisse en suspend les faits et la logique de leur enchaînement. Dans le monde enchanté de JFC, l’Occident produit des causes sans effets et les Russes ont des réactions sans causes réelles, hormis leur mauvaise foi et leur expansionnisme.

  • Les Etats-Unis d’Amérique, Brezinski et l’OTAN

JFC a-t-il lu le maître-livre de Zbigniew Brezinski (ZB) Le grand échiquier ? Le sous-titre anglais « American Primacy and its Geostrategic Imperatives” est fâcheusement émasculé en « L’Amérique et le reste du monde ». Evanouis « la suprématie américaine » et « ses impératifs stratégiques ». Les Français sont sans doute trop sentimentaux pour supporter d’aussi cruelles réalités. Le texte est une feuille de route stratégique largement mise en œuvre depuis 25 ans. Résumons : 1) Les Etats-Unis d’Amérique doivent dominer le monde le plus longtemps possible, 2) cela passe par le contrôle de l’Eurasie, 3) L’Europe occidentale est la tête de pont étasunienne en Eurasie, 4) il faut faire avancer vers l’Est simultanément l’Union européenne et l’OTAN, 5) l’Eurasie compte cinq « acteurs géostratégiques » : la France, L’Allemagne, la Russie, la Chine et l’Inde et cinq « pivots géopolitiques » : l’Ukraine, l’Azerbaïdjan, la Corée, la Turquie et l’Iran. Accessoirement, il est proposé de couper la Fédération de Russie en trois morceaux, comme l’Irak, et même davantage.

Extraits du Grand Echiquier :

« L’Eurasie reste l’échiquier sur lequel se déroule la lutte pour la primauté mondiale ». (…) « Le but de ce livre est de formuler une politique géostratégique cohérente pour l’Amérique sur le continent eurasien ».

« Quoi que l’avenir nous réserve, on peut raisonnablement conclure que la primauté américaine sur le continent eurasien sera soumise à de fortes turbulences et même confrontée à des épisodes de violence. » (p.85)

« Exclure la Russie (de l’UE ou de l’OTAN) pourrait être lourd de conséquences – cela validerait les plus sombres prédictions russes -, mais la dilution de l’Union européenne ou de l’OTAN aurait des effets fortement déstabilisateurs. » « Le dilemme se résume à un choix entre équilibre tactique et dessein stratégique ».

JFC « Le récit de la promesse non tenue que répète Vladimir Poutine pour justifier sa politique internationale injustifiable est un récit reconstitué a posteriori et pour tout dire une histoire inventée pour justifier son comportement. » Faut-il dresser la liste des témoins étasuniens, français (dont Roland Dumas), allemands, qui corroborent l’assertion russe (non, pas seulement « Poutine » mais aussi Gorbatchev) ? Joshua Shiferson de la George Bush School of Government at Texas A&M University explique dans son article “Deal or no Deal ? The End of the Cold War and the U.S. Offer to Limit NATO Expansion” : “Une lecture plus complète des archives diplomatiques montre que l’Union soviétique a reçu à plusieurs reprises des assurances contre l’expansion de l’OTAN en Europe orientale. Ces promesses ont été un élément central des négociations américano-soviétiques tout au long de l’année 1990, alors que le marchandage diplomatique évoluait d’un effort des États-Unis et de l’Allemagne de l’Ouest pour engager l’Union soviétique sur la réunification de l’Allemagne à la définition de la substance de l’accord et, finalement, aux conditions formelles que les dirigeants soviétiques ont acceptées en septembre1990.

Cela dit, il existe également des preuves solides montrant que les États-Unis ont induit l’Union soviétique en erreur lors des pourparlers de 1990. Comme Sarotte l’a d’abord noté, un nombre croissant de preuves indique que les responsables politiques américains ont suggéré des limites de la présence de l’OTAN après la guerre froide, tout en planifiant en privé un système d’après-guerre froide dominé par les Américains et en prenant des mesures pour atteindre cet objectif [2]. »

« Dès 1994, Washington accorde la priorité aux relations américano-ukrainiennes (p.140) (…) Au cours de la période 2005-2010, l’Ukraine pourrait à son tour être en situation d’entamer des négociations en vue de rejoindre l’UE et l’OTAN ».

« Pour que le choix de l’Europe - et en conséquence de l’Amérique – se révèle fructueux, la Russie doit satisfaire à deux exigences : tout d’abord rompre sans ambigüité avec son passé impérial ; ensuite, cesser ses tergiversations à propos de l’élargissement des liens politiques et militaires entre l’Europe et l’Amérique. »

Je « n’aime » aucunement Brezinski, je ne « justifie » pas sa vision « impériale » mais j’admire son intelligence et, accessoirement, sa franchise.

Un détail : tous les pays de la « Nouvelle Europe » candidats à l’UE sont passés par la case OTAN, stage obligatoire témoignant de notre identité européenne sous patronage US.

JFC « L’extension de l’OTAN, après 1991 et l’effondrement de l’URSS, ne résulte pas essentiellement de la volonté des Américains, mais d’une demande des Européens, spécifiquement de la Pologne appuyée par l’Allemagne ». Clinton, inspiré par Brezinski, d’origine polonaise, voulait plaire à la consistante fraction de l’électorat polonais [3]. Plus généralement, l’OTAN sert deux objectifs : la polarisation maximum des alliances, éventuellement à géométrie variable (« la mission fait la coalition ») et un remarquable débouché aux industrie d’armements des USA, au nom de la « non-duplication », terme permettant de valoriser l’homogénéité du matériel. Sauf erreur, la Grèce est le seul pays de L’OTAN commandé des Rafale, pour contrer un autre pays membre de l’OTAN, la Turquie.

  • Humiliations et agressions contre la Russie

JFC « Il est pathétique de voir reprise à l’envi par une partie de la gauche et la droite et par de multiples sites sur les réseaux sociaux la légende de la pauvre Russie méprisée, agressée, menacée par l’OTAN et qui dans un ultime sursaut pour assurer sa survie est obligée d’envahir l’Ukraine. »

De Gorbatchev à Poutine en passant par Medvedev, la main tendue aux Américains et aux Européen pour une « maison » ou une « architecture » commune de sécurité ne fut pas saisie. Poutine en vint, en 2007, aux mises en garde lors de la conférence sur la sécurité à Munich.

Face à une demande russe de garanties politiques et juridiques de paix et de sécurité, la réponse de l’Occident a été politico-militaire : l’OTAN

Cela dit, la Russie n’était certes pas « obligée d’envahir l’Ukraine », encore moins au-delà du Donbass.

JFC : « Quant au dis­po­si­tif mili­taire de l’OTAN, il a été consi­dé­ra­ble­ment réduit de 1990 à 2014. Il n’a été ren­forcé qu’après l’annexion bru­tale, en vio­la­tion du droit inter­na­tio­nal, de la Crimée par la Russie en 2014. » Le narratif occidental omet un détail essentiel : le 20 janvier 1991, la population de Crimée avait été consultée une première fois, sous Gorbatchev, avec l’accord de Kiev. La question soumise à référendum était de savoir si les habitants voulaient rester dans l’Ukraine (à laquelle les autorités soviétiques l’avaient donnée en 1954) ou rejoindre la CEI. Le résultat du vote fut le même que lors du vote initié par Poutine en 2014. Mais les autorités de Kiev jugèrent bon d’annuler le référendum [4].

  • L’UE, l’OTAN, la vassalisation

La dissolution du pacte de Varsovie, le 1er juillet 1991, aurait dû inciter les Européens à revoir leur copie, à faire preuve d’imagination. Que nenni ! Ils gravèrent l’OTAN dans le marbre du traité de Maastricht, en une formule dont le signifié l’emportait sur le signifiant.

Non seulement on multiplia par deux le nombre d’adhérents à l’OTAN mais on transforma une alliance défensive limitée à l’Atlantique Nord en une pacte de « sécurité » tous azimuts.

ZB décrit délicieusement la vassalité européenne. « Le fait brutal est le suivant : L’Europe occidentale, et de plus en plus aussi l’Europe centrale, reste largement un protectorat américain, avec ses Etats alliés qui rappellent les anciens vassaux et les anciens tributaires. »

  • L’alignement français

Sous la houlette de Paul Quilès, l’Assemble nationale française produisit un excellent rapport d’information sur l’OTAN et la politique de défense. [5] Un scénario comprenait un pilier européen de l’OTAN, dont ne voulurent pas les plus atlantistes de nos partenaires européens.

La suite fut un alignement continu : association aux frappes illégales contre la Serbie, réintégration du commandement militaire intégré sous le président Sarkozy, vivement dénoncé par le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, François Hollande qui, devenu président, fera valider par Hubert Védrine le statu quo.

Des officiers français du Centre de réflexion interarmées exprimèrent leur inquiétude après la publication de l’étude « OTAN 2030 » pointant la Russie et la Chine comme les principales « menaces » [6]. Bel exemple de prophétie autoréalisatrice et de provocation réussie.

CONCLUSION :

En envahissant l’Ukraine, les dirigeants russes endossent la lourde responsabilité d’une infraction légale au droit international, d’une erreur politique et d’une faute morale.

Elles y ont été poussées depuis 25 ans par maintes agressions verbales, écrites, factuelles. Ces agressions s’inscrivent dans l’ambition étasunienne affichée, assumée, de conserver sa suprématie mondiale et dans la veulerie européenne, passée de l’alignement à l’aplaventrisme.


[1Si tu veux la paix, cultive la justice, devise de l’O.I.T. à Genève et portée au fronton du Palais de la Paix de La Haye

[3Robert H. Donaldson, Joseph L. Nogee and Vidya Nadkarni, The Foreign Policy of Russia, Routledge, 2014.

[4Guy Mettan, Russie-Occident – Une guerre de mille ans – La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne, Les Syrtes, 2015, p.99-99.