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La CGT a tort

mardi 12 mai 2020, par Jean-Louis ERNIS

Dans le cadre du 1er mai – triste 1er mai revendicatif – le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, s’est exprimé notamment sur France Inter.
Si la majorité de ce qu’il a dit est conforme au discours d’un défenseur du monde ouvrier, néanmoins, une revendication mérite d’être examinée, discutée et pour ma part contestée.

Philippe Martinez revendique la durée hebdomadaire du travail à 32 heures.
Je pense que c’est une erreur. Ce dont ont besoin les salariés, c’est d’une augmentation générale des salaires, pas des primes, des salaires socialisés, des salaires fiscalisés.
Cette revendication salariale n’était-elle pas au cœur du propos des Gilets Jaunes sur les ronds-points à l’hiver 2018/2019 ?
Aujourd’hui, la durée hebdomadaire du travail est secondaire, très secondaire surtout si c’est pour nous refaire le coup des 35 heures. Il est bien évident que le décret portant à 60 heures la durée hebdomadaire de travail est inacceptable et doit être combattu.
Si le passage des 40 H à 39 H fut en 1982 une réelle avancée sociale, les lois sur les 35 H, appelées aussi lois Aubry, furent en réalité une suite des lois quinquennale de 1993 et de Robien de 1996, c’est-à-dire la confirmation d’une écriture de plus en plus libérale du droit du travail.
De ce fait, il semble nécessaire de se rappeler les ingrédients qui constituèrent ces deux lois.
Une formule jamais entendue auparavant donnait le ton. La durée hebdomadaire du travail recevait le qualificatif « d’effectif » Ainsi, on parlait « de durée effective du temps de travail »
Cette formule donna au patronat la possibilité d’exclure du temps de travail, les temps de pause et d’habillement, certains essayèrent même d’introduire dans ces exclusions la pause pipi !
L’argument du patronat, mais aussi de la ministre du travail, Martine Aubry, consistait à promettre une loi « Gagnant/Gagnant » pour les intéressés.
La réalité fut toute autre. Dans cette construction, les seuls gagnants furent les employeurs, car les statistiques montrent qu’en réalité la durée moyenne du temps de travail était et reste aux alentours de 39 H.
En effet, la durée légale du temps de travail n’est que la base à partir de laquelle se calcule l’abondement des heures supplémentaires. Avant les 35 H celui-ci était de 25 %.
Or, les lois Aubry ont fait tomber l’abondement unique de 25 % laissant aux accords d’entreprises ou aux conventions collectives la possibilité d’en fixer le niveau avec un plancher à 10 %.
Donc, pour ce qui est des heures supplémentaires, les gagnants furent incontestablement les employeurs, d’autant qu’un élément supplémentaire fut confirmé et amplifié avec l’annualisation du temps de travail, faisant disparaître dans la majorité des cas le principe des heures supplémentaires. Dans nombre d’entreprises sont négociés, annuellement, des accords pour fixer des périodes hautes et des périodes basses, avec un salaire stabilisé.
De fait, l’annualisation du temps de travail introduite par la loi quinquennale de 1993, initiée par le gouvernement Balladur, fut confirmée par le gouvernement socialiste de Lionel Jospin en 1998 dans lequel se trouvait Jean-Luc Mélenchon.
A cette époque, j’assurais une mission syndicale qui me conduisait à analyser les projets d’accords d’entreprises négociés par les militants de l’organisation que je représentais pour donner un avis, seulement un avis.
J’avais découvert une ligne de fracture qui n’avait rien à voir avec les 35 H, mais avec l’âge des salariés.
Les militants qui n’étaient pas encore quinquagénaires me disaient « nous n’avons que faire des 35 H, nous ce qu’on veut c’est du pognon. La maison n’est pas finie de payer et on a des enfants en étude »
Et pour les quinquagénaires accomplis, le raisonnement était diamétralement inverse.
Dans les faits, cela s’est traduit par une recrudescence du travail au noir, travaux divers dans le bâtiment, entretien d’espaces verts et même sylviculture, par exemple. J’ai été témoin de cette situation. Je ne juge pas, je constate les effets.
Rien d’étonnant à cela, car dans le cadre du fumeux « Gagnant/Gagnant » nombre d’accords d’entreprises comportaient un blocage des salaires sur plusieurs années.
Voilà pourquoi revendiquer la réduction du temps de travail n’est pas sans risque.
L’urgence d’aujourd’hui est de mettre la question salariale sur le devant de la scène.
J’entends les réprobations et les arguties de type « face aux faillites qui vont arriver et aux nombreux licenciements qui vont en découler, il est indécent de revendiquer des augmentations de salaires »
Je réponds avec fermeté « vous pensez que les spéculateurs vont se priver et vont être attendris par les faillites ? »
Restés sourds aux revendications salariales pré-covid-19, du personnel hospitalier – enseignants – policiers – pompiers – gardiens de prison … serait un crime, car le capital profiterait de cette pandémie pour serrer d’un cran supplémentaire, voire de plusieurs, le garrot qui étrangle la classe ouvrière de notre pays.
Il y a urgence à bannir le principe des primes, il faut revendiquer des négociations générales de salaires et plus généralement une réforme des grilles de salaires.
Il faut réhabiliter le cercle vertueux initié par le Conseil National de la Résistance, le salaire cotisé pour assurer le financement de la Protection Sociale et les revenus fiscalisés pour financer une vraie présence des services publics.
Face à cette pression salariale sur le secteur public, le patronat du privé ne pourrait échapper aux négociations salariales pour chaque convention collective.
Je suis atterré quand j’entends le patronat, les ministres et le premier d’entre eux, l’hôte de l’Elysée, les leadeurs de la majorité des partis et la quasi-totalité des journalistes, stigmatiser « les charges »
Il faut tordre le cou à ce discours culpabilisateur, irresponsable et dangereux laissant infuser, dans les esprits, l’idée que les cotisations patronales sont des fardeaux plombant l’économie, dont il faudrait rapidement se délester.
Ce ne sont pas des charges, mais du salaire différé que les salariés consacrent au financement de la protection sociale collective.
Rappelons, tout de même, que les employeurs sont exonérés de cotisations patronales, au minimum pour les salaires au SMIC.
Par ailleurs, c’est peut-être l’occasion de lier concrètement les revendications des Gilets Jaunes à l’action syndicale. Sur les ronds-points on a vu beaucoup de femmes en situation de monoparentalité avec des revenus ne permettant pas une vie décente. Au-delà de la responsabilité matérielle du géniteur, c’est peut-être le moment de faire preuve d’inventivité et d’ouvrir le dossier de ces situations nouvelles.
Etre « généreux » dans le domaine sociétal, sans accompagnement social, est irresponsable.

Avant de conclure l’une des réflexions sur la dignité humaine, provisoirement et sans prétention exhaustive, je veux dire mon étonnement, pour rester soft, du peu de propositions concrètes des organisations syndicales sur la question des retraites.
S’opposer à la retraite par points est bien le minimum pour se revendiquer du mouvement syndical authentique. Mais une chose est de s’opposer, une autre est de proposer. Modestement, je fais une proposition. Partant de l’idée que l’avenir appartient aux jeunes générations, je propose un retour au système des pré-retraites, actualisées. Pour tenter d’apporter des solutions à plusieurs problèmes de notre société, on pourrait accorder un système de pré-retraite aux salariés ayant un minimum d’années de cotisations (37,5 années par exemple) Jusqu’à la durée réglementaire pour bénéficier d’une retraite pleine et entière, le salarié ou la salariée s’engagerait à assurer, bénévolement, un nombre d’heures au bénéfice d’une association sportive, culturelle, sociale, de son choix, présentée sur une liste agréée.
Les trimestres civils seraient comptabilisés pour obtenir le volume nécessaire d’annuités pour obtenir une retraite.
Les fonds existent. Faut-il rappeler que le tandem Hollande/Valls avait bien trouvé 40 milliards annuels d’€ pour le CICE ? Celui-ci perdure sous une autre appellation, sans qu’aucun résultat positif sur l’emploi n’ait été prouvé.
Faut-il rappeler que la France se fait la championne pour le versement des dividendes ? Selon plusieurs études, les chiffres sont extravagants et ne cessent d’augmenter depuis la crise de 2009. On parle d’au moins 50 milliards d’euros distribués aux actionnaires en 2019. Sur l’ensemble des bénéfices réalisés, 27 % vont aux investissements et 5,3 % aux salaires  !!!
Par ailleurs, l’évasion fiscale est évaluée entre 80 et 100 milliards d’euros annuels pour notre seul pays.
Ce combat qu’il faudra bien engager un jour porte un nom, celui de « Juste répartition des richesses produites »

Messages

  • Juste quelques réflexions. D’abord merci de préciser ce qui a été bien peu développé, y compris au sein de la CGT, ce qu’a été le "grand progrès" des 35 heures : d’arrangements en "allègements", de dérogations en annualisation...le progrès fut davantage pour le patronat que pour les travailleurs. Rappelons qu’avant l’arrivée du PS au pouvoir ont avait eu pendant assez longtemps des heures supplémentaires qui commençaient à être majorées à 25%...et pouvant aller jusqu’à 100%.
    S’agissant des retraites, il me semble qu’un solution n’a jamais été envisagée et qui pourrait être étudiée : une retraite prise plus tôt mais à mi-temps. La journée de travail réduite de moitié, la partie travaillée payée par l’entreprise, la partie non travaillée compensée par la caisse de retraite. Une situation, me semble-t-il particulièrement utile pour permettre la transmission du savoir-faire, surtout dans des domaines où cela peut être essentiel et qui irait bien au-delà d’un simple "apprentissage".
    Quant aux 32 heures, je ne pense pas que ce soit le fait de les réclamer qui est une erreur mais de ne l’entourer de...rien d’autre : si cela devait aboutir à encore plus de "flexibilité" (tiens, je l’avais oublié pour les 35 heures...) accordée au patronat, au bénéfice des actionnaires, on pourrait en effet s’interroger sur la qualité du progrès social comme des conditions de travail.
    Courte remarque à propos de la CGT : tous ceux ayant conservé un peu de lucidité quant aux rapports de force menant le monde, ont compris que quand un secrétaire national se déclarait favorable à "l’Europe", cela ne pouvait qu’annoncer l’entrée à la CES après avoir montré "patte blanche"...au système en place. Les militants avaient peu de raisons d’espérer...
    Méc-créant.
    (Blog : "Immondialisation : peuples en solde !" {{}}http://immondialisation-peuples-en-...)

  • Juste quelques réflexions. D’abord merci de préciser ce qui a été bien peu développé, y compris au sein de la CGT, ce qu’a été le "grand progrès" des 35 heures : d’arrangements en "allègements", de dérogations en annualisation...le progrès fut davantage pour le patronat que pour les travailleurs. Rappelons qu’avant l’arrivée du PS au pouvoir ont avait eu pendant assez longtemps des heures supplémentaires qui commençaient à être majorées à 25%...et pouvant aller jusqu’à 100%.
    S’agissant des retraites, il me semble qu’un solution n’a jamais été envisagée et qui pourrait être étudiée : une retraite prise plus tôt mais à mi-temps. La journée de travail réduite de moitié, la partie travaillée payée par l’entreprise, la partie non travaillée compensée par la caisse de retraite. Une situation, me semble-t-il particulièrement utile pour permettre la transmission du savoir-faire, surtout dans des domaines où cela peut être essentiel et qui irait bien au-delà d’un simple "apprentissage".
    Quant aux 32 heures, je ne pense pas que ce soit le fait de les réclamer qui est une erreur mais de ne l’entourer de...rien d’autre : si cela devait aboutir à encore plus de "flexibilité" (tiens, je l’avais oublié pour les 35 heures...) accordée au patronat, au bénéfice des actionnaires, on pourrait en effet s’interroger sur la qualité du progrès social comme des conditions de travail.
    Courte remarque à propos de la CGT : tous ceux ayant conservé un peu de lucidité quant aux rapports de force menant le monde, ont compris que quand un secrétaire national se déclarait favorable à "l’Europe", cela ne pouvait qu’annoncer l’entrée à la CES après avoir montré "patte blanche"...au système en place. Les militants avaient peu de raisons d’espérer...
    Méc-créant.
    (Blog : "Immondialisation : peuples en solde !" {{}}http://immondialisation-peuples-en-...)

  • J’ai lu avec attention les dernières contributions.
    Je pense en tant qu’ancien syndicaliste CGT du secteur pétrochimique ( HOECHST, EXXONMOBIL ) que le principe abandonné de la préretraite progressive pourrait être à nouveau exploré afin de faire en sorte que les futurs retraités puissent bénéficier d’un allégement de travail à partir de 60 ans...
    Je suis pour ma part en retraite depuis décembre 2011. Je fais partie de la section retraités de mon entreprise. Je suis toujours en activité au Conseil de Prud’homme du Havre et pense pouvoir m’arrêter en 2021 après 42 ans de mandat.
    Bon courage à tous les syndicalistes et hommes politiques progressistes pour laisser à nos enfants et petits enfants une continuité des droits sociaux que leurs parents et grands parents ont conquis par la lutte.

  • Même quand on a le souci du sérieux de ses écrits, il arrive que l’on oublie des faits importants.
    En 1998, au moment de la 1ère loi Aubry, la convention collective de la métallurgie avait abaissé le temps de travail à 37 H hebdomadaires sans concession salariale.
    La retraite progressive a existé au milieu des années 90. Un système paritaire avait été institué par accords interprofessionnels par étapes successives de trois et deux ans et ce jusqu’au début des années 2000. Il s’agissait de permettre aux salariés, sous certaines conditions (âge, années de cotisations) de cesser l’activité professionnelle et d’être obligatoirement remplacé par un jeune sans emploi. Certes, cela restait de la volonté de l’employeur, mais je n’ai pas le souvenir d’avoir rencontré de grosses difficultés.
    Parallèlement existait un autre système, mais celui-là découlant de la loi. Le salarié était libéré à 50 % de son activité professionnelle et devenait le tuteur d’un jeune embauché.
    Mais tout ceci a volé en éclats avec l’arrivée des 35 H, le patronat considérant que cela relevait du fumeux Gagnant/Gagnant.
    Un autre élément, et pas le moindre, est venu enrayer cette mécanique, les décrets Balladur de l’été 1993, faisant passer, entre autres, le calcul des retraites des 10 meilleures années aux 25 meilleures années. Au cours des années 90, les effets étaient peu sensibles mais, au fil du temps, les salariés ont constaté de sérieuses pertes de pouvoir d’achat. Puis ensuite avec le malus, les choses se sont encore aggravées.
    Les pré-retraites progressives (PRP) existent toujours, mais les conditions d’accès ont été durcies, ce qui fait qu’excepté dans le cadre des licenciements collectifs, les PRP n’intéressent plus personne.

  • Même quand on a le souci du sérieux de ses écrits, il arrive que l’on oublie des faits importants.
    En 1998, au moment de la 1ère loi Aubry, la convention collective de la métallurgie avait abaissé le temps de travail à 37 H hebdomadaires sans concession salariale.
    La retraite progressive a existé au milieu des années 90. Un système paritaire avait été institué par accords interprofessionnels par étapes successives de trois et deux ans et ce jusqu’au début des années 2000. Il s’agissait de permettre aux salariés, sous certaines conditions (âge, années de cotisations) de cesser l’activité professionnelle et d’être obligatoirement remplacé par un jeune sans emploi. Certes, cela restait de la volonté de l’employeur, mais je n’ai pas le souvenir d’avoir rencontré de grosses difficultés.
    Parallèlement existait un autre système, mais celui-là découlant de la loi. Le salarié était libéré à 50 % de son activité professionnelle et devenait le tuteur d’un jeune embauché.
    Mais tout ceci a volé en éclats avec l’arrivée des 35 H, le patronat considérant que cela relevait du fumeux Gagnant/Gagnant.
    Un autre élément, et pas le moindre, est venu enrayer cette mécanique, les décrets Balladur de l’été 1993, faisant passer, entre autres, le calcul des retraites des 10 meilleures années aux 25 meilleures années. Au cours des années 90, les effets étaient peu sensibles mais, au fil du temps, les salariés ont constaté de sérieuses pertes de pouvoir d’achat. Puis ensuite avec le malus, les choses se sont encore aggravées.
    Les pré-retraites progressives (PRP) existent toujours, mais les conditions d’accès ont été durcies, ce qui fait qu’excepté dans le cadre des licenciements collectifs, les PRP n’intéressent plus personne.

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