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Hypocrisies siamoises

samedi 7 août 2021, par Robert POLLARD

Jusqu’ici et selon la presse il y avait un camp d’hypocrites, celui de l’Élysée et de ses affidés, gouvernement en tête. Et voilà que se répandent ouvertement quelques confidences plus ou moins explicites dans Le Monde de référence, notamment, qui le 12 juillet écrivait sous le titre éditorial « Du bon usage de la liberté » : après un passage en force sur la mise en abîme des problèmes que pose l’adoption de la loi (qui était alors en discussion au Parlement) préconisant l’usage d’un “passe sanitaire“ le quotidien, de référence, fait savoir qu’ « au terme d’un compromis fructueux entre députés, sénateurs et gouvernement le passe sanitaire a été supprimé dans les centres commerciaux, de même que la possibilité de licencier des employés réfractaires à la vaccination. C’était l’une des dispositions les plus controversées du texte.  » S’ensuivra un galimatias précautionneux de recommandations qui touchent à la liberté des personnes tout en reconnaissant la valeur morale des injonctions présidentielles dénonçant l’égoïsme de ceux qui… Rien à voir avec le comportement de grands manitous du capital comme Bolloré, Arnault et consort. Circulez.

Maintenant, si vous tenez légitimement à vous faire une idée du contenu de cette loi, sur ce point précis du “non licenciement“, un seul des grands quotidiens en parle, à ma connaissance, et l’expose clairement, Marianne du 27 juillet : « Le texte adopté dimanche prévoit une suspension sans salaire des employés qui se déroberaient à leurs nouvelles obligations.  » s’ensuit une analyse précise des mécanismes et conséquences de ce texte finalement adopté en ayant l’air d’avoir été le fruit positif pour les travailleurs et les syndicats, qui s’en félicitent, d’un recul du gouvernement et de ses soutiens avérés alors que, on le constate évidemment, rien n’a changé sur le fond : pas licencié mais privé de salaire et d’indemnités chômage et autres dispositions, ce qui est devenu positif serait le droit de mourir, de crever avec un sentiment de culpabilité, sauf à obéir à l’injonction, laquelle s’accompagne toujours d’un coup de badigeon moralisateur. Monsieur Macron, le roi du discours lénifiant, s’y contorsionne souvent.

Toujours en référence — pour ne pas dire révérence — Le Monde se lance dans une description journalière des Grandes familles les plus riches donc les plus influentes de France, leur mode de vie et leurs rapports plus ou moins sacrés à la famille, leur Cathédrale du savoir vivre et savoir faire (Sagrada Familia) : sont visitées à ce jour famille Bolloré, Arnault, Lagardère le canard boiteux, les frères Bouygues et il en aura d’autres. Ils vivent sur la même planète que nous tous, mais à côté, en recul, en surplomb, sur un mode qui nous est complètement étranger. Ils ont leurs quartiers très exactement délimités dans la Capitale, très bien gardés avec… quoi ? On ne pourrait habiller leurs demeures du terme d’habitation, mot trop étroit qui éclate sous la pression et l’ampleur énormes de l’espace et du luxe, leur multiplicité un palace résidentiel pour chaque villégiature ; déplacements en jets privés signés Dassault, sans gêne ni contrainte ce sont eux, les barons de la “∂émocratie“ qui permettent autant que peut se faire, l’expression dans les grands médias de tous les vertueux défenseurs de l’austérité planétaire. Greta Thunberg ne pourrait intervenir comme elle le fait si on ne le lui permettait pas — ce qui éventuellement ne remet pas en cause ses convictions personnelles — et bien d’autres qui à longueur de reportages (brillants) démontrent l’inanité de l’exploitation des ressources naturelles, notamment pétrolifères, de la disparition des terres et des arbres et des forêts sans que pour autant cesse leur exploitation à l’image de l’halieutique et des surpêches au filet électrique qui vident les Océans et détruisent les fonds marins — elles protestent bien sûr ces grandes sociétés de pêche industrielle — et tout continue presque comme avant. Sauf à trouver un biais qui permette de s’enrichir et d’augmenter son pouvoir en exploitant des entreprises vertueuses basées sur des technologies prétendument vertes, comme le moteur électrique, dans le domaine de l’automobile, par exemple, les éoliennes dont on ne sait que faire après 25 ans d’existence, et bien d’autres nuisances que l’on tente de camoufler sous le vocable illusoire d’énergie naturelle donc propre.

Tout ce que l’Homme a fait depuis les origines, semble fait pour son propre besoin, dans son propre intérêt il a ainsi avancé, me semble-t-il, tantôt à l’instinct tantôt l’instinct couplé avec la raison, mais presque toujours soumis au mouvement des ambitions de quelques uns qui les poussent sur ce que nous appelons “le progrès“. Une expression qui se trouve dans toutes les langues, ou presque, se dit en Français « Mieux », mieux aujourd’hui qu’hier, mieux demain qu’aujourd’hui et, finalement, d’hier à aujourd’hui et au futur même, malheureusement de mal en pis ?… C’est ce mot, ce “mieux“ qui est insondable. Selon qu’il sera prononcé par un Arnault ou par l’ouvrier ou le paysan, selon qu’il sera issu du vocable hors sol des “grandes familles“ ou de la terre commune, il n’aura pas le même sens. Qu’y-a-t-il de mieux pour Bernard Arnault, 72 ans et toutes ses griffes de prédateur que d’assurer sa succession dans la conservation de son Empire ? Il a élevé ses fils — ils sont cinq pas tous de la même mère — de façon à ce que pour « le patron de LVMH, la passation de pouvoir ayant toujours été un enjeu crucial » (dixit Le Monde du 28/07)« il a strictement encadré l’éducation de ses cinq enfants, qui en attendant qu’il décide lequel sera apte à prendre sa place, se font les dents au sein du groupe paternel » (id°) Ils se font les dents les fils du pape des fortunes françaises !

L’expression et les mots eux-mêmes sont transfigurés dans la sphère du bon monsieur Arnault Bernard, dont l’un de ses fils (Antoine qui sera peut-être le futur Empereur du groupe) dit avec admiration et détermination « Mon père est une machine de guerre  », il en est fier comme ses frères et sa sœur — qui soit dit en passant, ne semble pas devoir jouer un grand rôle dans son scénario — ; Bolloré, le style et les ambitions diffèrent légèrement du précédent. Il a quatre fils dont un dont on ne sait pas grand-chose et qui semble avoir rompu avec la famille rapprochée mais pas avec la tribu des puissants. Il est aux E.U. où il trace sa route. Les trois autres sont peu ou prou restés sous la férule du jeune patriarche de 69 ans. Mais le dressage est en cours. Jamais il ne cèdera sa place disent les connaisseurs ; Lagardère mort prématurément, laisse derrière lui un raté de la puissance qui consume le pactole paternel avec une insouciance qui frise la jouissance.

Peu nous importe, encore que ce soit un sujet d’étude passionnant pour un sociologue, doublé d’un psychologue, ils vivent eux aussi, dans la sphère d’à côté, avec des soucis presque semblables aux nôtres mais avec cette obsession de nous tenir en ordre de marche c’est-à-dire dans un garde-à-vous impeccable aux pieds de nos instruments de production de leurs profits, sans réclamer, sans manifester, sans mécontentement apparent. Condition sine qua non pour le maintien de l’Unité Nationale et de la place de la France dans le Monde… Macron, utilisant stratégiquement la pandémie et son virus, préside et porte la bonne parole du Palais de l’Élysée couplé au Medef et au CAC 40, y compris en utilisant des arguments contondants et des personnels aguerris à la guerre des classes : “nous ne sommes pas dans le même camp“, parole très juste et très responsable du préfet de police, Didier Lallemant, adressée à une rouspéteuse, pétroleuse, qui l’agaçait.

Qui fait la loi ? Qui a le pouvoir de la défaire ? Qui pourrait la contrefaire ? Poser la question c’est déjà y répondre, en grande partie, tenant compte de ce qui vient d’être écrit dans les paragraphes précédents. Mais à la question de savoir qui sortira vainqueur de la confrontation classe contre classe, répondre à l’instar de Warren Buffet que ce sont eux, les représentants du capitalisme américain et même mondial, semble un peu précipité et reviendrait à prendre sa vessie pour une lanterne universelle. Qu’ils aient résisté jusqu’ici et même accru leurs profits est incontestable, les “crises“ qui leur sont imputables, leur ont servi de tremplins pour faire fructifier leur magot. Que cela puisse durer jusqu’à la fin des temps, audacieux celui qui l’affirme. Sanofi, incapable de fournir un vaccin dans les temps impartis par les politiques, rachète un producteur américain de vaccins ARM qui, jusqu’ici, travaillait pour lui en exclusivité et que sont alors devenus ces produits dont les pays pauvres sont privés ? Rachat qui va lui coûter 1Md et demi de dollars. Il se contente de puiser dans ses réserves, c’est peu dire de son enrichissement lui, Sanofi, qui n’a à son actif que ses échecs pour lutter contre le Covid19 des premiers temps. Mais qu’importe l’échec puisqu’on a l’ivresse du profit…

Il semble donc qu’ils soient plus ou moins hors les lois, certaines mais pas toutes, en fonction de leur intérêt du moment. Et encore nous ne savons pas tout de leurs tractations secrètes, de leurs discussions entre chiens et loups sur le partage du butin. Ces remarques ont valeur universelle et s’appliquent au “monde des Affaires“ en général pourvu qu’il s’agisse des grandes Affaires “majusculaires“. Or les lois il faut en dire ce qu’en disent Le Monde et Montesquieu, ou plutôt les auteurs, professeur de droit, juriste, président d’entreprise, avocat, directeur de recherche au CNRS : citant Montesquieu « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires  » et concluant d’eux-mêmes « Il y a pire que les lois inutiles, ce sont les lois envahissantes, impraticables, qui défont les liens sociaux » comme celles qui instaurent le passe sanitaire, par exemple, mais rien ne dit qu’elles ne soient pas là justement pour les défaire ces liens sociaux…

Robert