La France des armées
« Le pouvoir déchaîné de l’atome a tout changé excepté nos manières de penser » ; Albert Einstein (cité par Olivier Zajec Le Monde diplomatique Avril 2022)
Méli-mélo de postures, coups de mentons, petits doigts sur la couture du pantalon : regards tristement féroces les va-t-en-guerre haussent le ton… puis viennent les prophètes, plus ou moins désarmés, qui tentent leur chance en pariant sur une troisième guerre mondiale. « Le néant est le centre d’Hiroshima » écrivait Günther Anders lui qui savait de quoi il parlait quand il évoquait la Bombe (« Hiroshima est partout » Seuil). Alors certains penseurs se lancent avec une imprudence, semble-t-il calculée, dans les tenants et les aboutissants éventuels d’une situation de tension extrême entre les deux puissances nucléaires qui tiennent jusqu’ici le haut du pavé, la Russie de Poutine et l’Amérique de… Biden-Trump. Car l’au moins aussi fou que Poutine, en plus désordonné peut-être, n’est jamais complètement absent dans ces joutes et bras de fer Amérique, Russie. On ne voit qu’eux, ou presque, ce sont les champions de l’un et l’autre camp, alors que derrière, dessus, dessous les entourent leurs hommes d’affaire, oligarques, hommes de fer pour tout ce qui touche à ce qu’ils appellent, avec un ricanement cynique, le commerce, l’économie de marché, le progrès cette variable d’ajustement de leur philosophie qu’ils ont nommée « LIBÉRALE ».
Mais tout est peut-être trop haut placé, trop fort, trop grand pour ces fol-de-pouvoir afin qu’ils en discernent l’horreur intrinsèque. « La méthode habituelle pour se rendre maître de ce qui est trop grand, écrit Günther Anders, consiste à procéder à une simple manœuvre de refoulement ; à continuer à avancer exactement dans la même direction ; à balayer l’action du registre de sa vie, comme si une culpabilité trop grande n’était plus du tout une culpabilité ». C’est à peu près ce que disait Albert Einstein en 1964, Günther Anders étant publié en 1982… et bien oublié depuis ! Or, tout est « trop grand » pour tous, fous et folles excités et drogués — au sens propre comme au figuré — n’ont plus vraiment le contrôle des leviers qui leur permettaient d’exister une fois qu’ils se furent hissés au sommet de l’État : le nucléaire perché sur l’inconscient collectif de plusieurs générations depuis Hiroshima et Nagasaki, voire Tchernobyl et Fukushima, déploie ses ailes comme pour se réchauffer, se rappeler à notre bon souvenir. L’ombre s’étend sur tous les jacasseurs professionnels : experts, militaires en costume cravate bavardant sur nos écrans, politiciens au service de la France et, bien entendu, des Français, candidats à la posture suprême et, pour certains, s’y croyant déjà.
Et voilà que l’esprit s’élève, prend de l’altitude et hasarde ce diagnostic : « Annoncé par diverses crises ces dix dernières années, le troisième âge nucléaire a véritablement commencé en Ukraine » (Le Monde diplomatique avril 2022) ne s’agissant là que de la reformulation d’une appréciation encore plus subjective, tout à fait superficielle d’un Amiral qui partage le temps depuis Hiroshima et Nagasaki en trois périodes distinctes, d’abord l’équilibre de la terreur par la dissuasion entre les deux blocs, « les Deux Grands », puis l’espoir innocent d’une élimination « totale et définitive des armes nucléaires » après la chute de l’URSS, et la fin de la guerre froide, pour finir là où commence la troisième période — sans qu’il soit dit que ce serait la dernière — où se poserait la question de la « rationalité des nouveaux acteurs dans la mise en œuvre des moyens nucléaires ». Il ressort de ces effets de manche que tout a bien changé sans que rien ne change : l’arme absolue, qui n’a cessé d’être perfectionnée, multipliée, baladée dans les airs comme au fond des mers depuis son premier lâcher japonais ET pourrait désormais, à n’importe quel moment de notre histoire, régler une bonne fois pour toutes les « petits problèmes » d’une Humanité dépassée par ce qui fût trop grand pour elle…
Pulvérisés les pauvres, pulvérisés les riches. Jusqu’à présent nous avons affaire à des massacres de moyenne intensité, sur l’échelle très collet monté des chancelleries et de l’ONU. Le Yémen par exemple, où nous sommes impliqués sans retenu ou presque, où se sont invités les USA, la Grande-Bretagne derrière une coalition qui rassemble l’Arabie saoudite, et les Émirats arabes unis, bien sûr il ne faut rien exagérer, nous n’avons fourni que les armes et les instructeurs pour apprendre à s’en servir, et les tapis rouges pour les réceptions officielles ; « le Haut Commissariat des Nations Unies communique ces chiffres : 10 000 enfants tués ou blessés, 377 000 morts depuis le début de la guerre, 17,4 millions de personnes qui dépendent de l’aide alimentaire, 5 millions au bord de la famine… » (Tribune des Travailleurs n° 332) et, ironie macabre du sort, la guerre en Ukraine le coût de la farine est passé de 21/25 dollars à 50 dollars le sac (ibid.). Et que disent les chiffres qui concernent l’Irak, l’Afghanistan, l’Afrique sahélienne ? Sans doute, mais les agresseurs d’Orient et d’Occident ont le pétrole, le gaz et le foot, et les grands prix de Formule 1… que de gens riches grâce à l’Orient, que d’argent sous le manteau venu les enrichir les dirigeants du foot européen, rien de bien grave… la vie est si courte, surtout quand les armes forment le socle de cette pouponnière de milliardaires et multimillionnaires.
Dans quatre jours nous saurons, nous les Français, héritiers d’un héritage peut-être trop lourd pour nous, qui sera en pole position (comme on dit sur les circuits de courses automobiles) pour l’ultime course au pied du mât de cocagne. Notre sang ne fera qu’un tour, le dernier peut-être pour moi, mais les jeux seront faits… ou pas ?
Y vaya con dios…
Robert