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… et il ventait devant ma porte.

mercredi 27 avril 2022, par Robert POLLARD

… et il ventait devant ma porte.

Quand sont réunis à l’abri d’un seul et même journal — Franc-Tireur — Raphaël Enthoven et Christophe Barbier, le risque est grand d’en rire et d’en pleurer comme dans ces derniers salons où l’on cause, champagne à la main. Je n’ai rien lu de la philosophie de Enthoven et ce n’est pas ma spécialité. J’ai néanmoins repéré le bonhomme très souvent en télévision, radio et maintenant en franc-tireur de plume. Il s’attaque, à Mélenchon un 23 mars 2022, bien avant le premier tour, bien avant, et décline « La chute », titre de son article, en ces termes : « Ses grosses ficelles n’auront emballé qu’une minorité vindicative et disparate. Il voulait gouverner un pays, il n’a régné que sur une secte », belle perspicacité, c’est la « sixième république » qui est dans le viseur en réalité et si l’on en croit le philosophe people, celle qu’on ne verra jamais puisqu’il l’aura enterrée avec Méluche. La preuve sera faite du danger qu’il y a, pour l’amour propre et pour l’ego hypertrophié, de lancer des prophéties avec autant d’assurance. Encore que, avec l’élection de Mélenchon nous n’aurions eu aucune certitude, car, en ce qui nous concerne, nous les tenants d’une VIème république, c’est dans le programme que nous avons choisi cette perspective et non sur la brillante et consistante harangue du tribun. À l’aune de quoi, et pour ce que l’on en sait, il y aurait bien du Jaurès là-dedans !

Christophe Barbier, quant à lui, se fait les dents sur la Corse « Un mal des mots » commence-t-il par écrire reprochant à Darmanin d’avoir concédé que l’État pourrait envisager de discuter de l’autonomie, ce qui a le don de faire ricaner ce connaisseur de l’âme humaine, serti de son écharpe rouge. « … il n’est pas question que le travail des continentaux finance le laxisme insulaire », et comme de surcroît l’autonomie risquerait d’être le faux nez de l’indépendance, « Ce serait une catastrophe, tant pour la Corse que pour la France. » La France serait moins forte, moins belle… (sans le laxisme insulaire ?) et surtout, nous n’en sommes pas à un lieu commun près, « la Corse deviendrait vite la proie des mafias et le déversoir de l’argent à blanchir » on comptera désormais sur le Barbier de service pour raser gratis si demain, après l’élection… Mais allez donc savoir ce qu’en pense l’écharpe rouge en son intime conviction ? Fainéants, approximatifs et mafieux, sont les Corses d’opérette, cadavres sortis des placards huppés du journalisme en fauteuil. Dans sa dernière prestation, Christophe Barbier s’en prend à l’aspect, disons, conceptuel du discours lepéniste qui lutterait contre le « Système » ; il a alors cette phrase mystérieuse : « Enfin, dénoncer le “système ‘c’est distinguer les vérités officielles, énoncées dans quelque cabinet secret, des vérités alternatives, courageusement portées contre la doxa des puissants. ‘c’est-à-dire ? Qui en mère courage ?… surtout quand on sait que parlant de système, elle et bien d’autres à sa suite dans d’autres chapelles, ampute le mot de son complément indispensable et éclairant : le ‘un système capitaliste ‘évidemment, c’est du capitalisme et des capitalistes dont il faudrait parler. ‘Ce vocable dessine aussi une frontière entre le haut et le bas de la société’ écrit-il afin de donner du poids à ses propres mots, utilisant une filière d’analyse empruntée par Le Monde, par exemple ou Libération… et bien d’autres : les nantis et ceux qui ne le sont pas, riches, très riches et pauvres, tout cela ne serait qu’une affaire de ‘répartition de la richesse qui conduit tout droit au fameux ruissellement qui proviendrait d’un surplus, ou d’une incontinence de riches laissant échapper quelques gouttes de richesse sur la tête des pauvres qui structurent la pyramide au sommet de laquelle s’empiffrent les très riches et les moins riches. Les capitalistes, pour les appeler par leur nom, qui extraient leurs profits du travail ‘Autrement dit, le capital suppose nécessairement le travail, alors que l’inverse n’est pas vrai…’ (Ludovic Hetzel ; Commenter le Capital ; éditions sociales). Il peut et doit exister la possibilité d’un nouveau monde dans lequel le travail existera sans le capital et les capitalistes, ce que Marx a démontré par l’analyse des conditions d’exploitation de la force de travail de son époque, sans que les fondamentaux aient été modifiés depuis.

Mais pourquoi aller débusquer ces gens-là dans un journal qui a choisi de s’appeler Franc-Tireur — en résonnance du journal de la Résistance, mais comme pourrait ironiser Caroline Fourest, pendant la guerre c’était autre chose —, et qui ne possède (pas encore ?) un nombre considérable de lecteurs, qui n’en est qu’à son 23ème numéro ? Pourquoi ? parce que…

Parce que Caroline Fourest, qui en fait partie, qui était jusqu’ici certainement la plus compétente du trio, la plus honnête aussi, la plus rigoureuse enfin, tombe à son tour dans la facilité non dénuée de prétention. Elle écrit : ‘Qu’à Odessa, à Kiev, à Marioupol, des jeunes ont arrêté leurs vies, leurs études et leurs amours pour résister aux chars russes…’ ce qui serait vraisemblable, mais elle ajoute : ‘A Paris, des gosses pourris gâtés se sont rendus à trottinette jusqu’à leur amphi pour bloquer leur fac, brailler et grapher ‘Ni Le Pen, Ni Macron ! ‘, ‘Contre les élections ! ‘entre deux séances de yoga et de pop-corn’. Puis elle pense avoir sauvé cette génération de gentils dépravés en trottinette, parce qu’elle aurait voté Chirac en 2002, en se pinçant le nez : sans ces votes, suppose-t-elle, la jeunesse ‘éveillée’ saurait faire la différence entre un tyran et un démocrate, entre un tyran et un tyranneau. Et, surtout, l’essentiel de sa pensée : ‘Quand tous ces abstentionnistes se seront abstenus de résister, dans cinq jours ou dans cinq ans, le pire finira bien par arriver.’, en d’autres termes devant un faux choix il faut choisir. Le choix d’une voie de Farage* vers le Brexit fut une preuve made in England, que les évènements qui suivirent — et suivent partout et toujours —, ont pour conséquence d’avoir remis le pouvoir entre les mains d’une droite encore plus cynique que l’autre, plus désordonnée, en apparence, en apparence seulement, brouillant les cartes et le jeu en attendant de mettre en place un autre ‘Système’ qui fonctionnera (ou ne fonctionnera pas), au plus près des intérêts de la City et de ses colocataires. Macron n’est pas Farage, tant s’en faut, Marine en a quelque chose, mais l’un comme l’autre habite sur la rive où se situe le Medef et les pontes du CAC40, accompagnés de leurs affidés répartis un peu partout dans des endroits clefs de la presse, de la haute administration et de la politique qui leur sont indispensables pour maîtriser ce qu’ils appellent l’Économie, la Nation, le peuple français — l’Honneur et la Patrie si le besoin s’en fait sentir. Il est pratique de croire, ou de faire croire que des jeunes, parce qu’ils proclament voter ‘tout sauf Macron’ — donc Le Pen si je la comprends bien —, ‘préfèrent regarder Hanouna à la télé. Ah ! ‘baba ‘… Il faudra faire le bilan de ce lavage de cerveau continu…’, les réseaux sociaux pourraient y être pour plus encore dans cet enfumage, qu’une émission télévisuelle dont je ne suis pas certain que la jeunesse se gave. C’est un détail cependant, ce qui compte chez Caroline Fourest, est cette agressivité juvénile consistant à reprendre tous les poncifs d’une triste et lourde propagande, générée par l’inculture de quelques abrutis professionnels, dont c’est le métier. Arguments dépouillés de toute vraisemblance, faits pour agrémenter les émissions de télé, justement, celles dont on attend qu’elles blessent, parcourues par des rires plus ou moins nerveux, plus ou moins jaunes… n’est-ce pas Caroline Fourest qui s’emporta jusqu’à traiter de ‘con’ l’un des participants ? On écrit ‘qui s’emporta ‘, quand il faudrait dire ‘qui s’abîma ‘.

Elle fustige cette ‘génération’ qu’elle appelle : Ni-ni, elle n’est pas la seule, mais elle est alors en mauvaise compagnie qui voit ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien, gare du Nord, ceux qui traversent la rue et trouvent du boulot avenue Foch… Les ‘Ni-ni’ seraient les enfants gâtés qui occupent les facs pour dénoncer ce choix qu’ils devraient trancher en faveur de Macron le démocrate, d’après elle. Elle, fait partie d’une génération née après 1968, donc non ‘contaminée ‘. Que lui prend-il de voler en raz-motte au risque de se prendre le pommier de l’Eden en pleine poire ? Je m’exprime ici (ou tente de le faire) en langue ‘on n’est pas couchés’ ! Ni-ni n’est jamais une impossibilité, jamais une obligation, quand choisir est impossible il est ridicule de vouloir forcer le destin, de prédire un avenir fantasmé, ce n’est qu’une commodité de langage, voire une insulte sans conséquence, sans diffamation, sans agressivité seulement du mépris et de la condescendance.

Les gens de ce bord peuvent être rassurés : Jupiter pour cinq ans de mieux ; en principe, car de quoi l’avenir sera-t-il fait ? Sur quelle voie notre ancien-nouveau président va-t-il s’engager ? Il lui faut probablement attendre encore d’avoir quelques ‘recommandations ‘de ceux qui le gouvernent, qu’on ne présente plus, une feuille de route plus ou moins occulte qui devra fixer les bornes à ne pas dépasser. En ce domaine il existe une exégèse qui fait autorité, Madame Canto-Sperber qui défend, en politique, un ‘libéralisme normatif et social’, dans lequel les limites à ne pas franchir sont très clairement définies. Je voyais, dans une lettre en date du 15 mars 2005 (L 57 c’est vieux) une philosophe renommée, spécialiste de l’Antiquité, madame Canto-Sperber apparaissant en gardienne du Temple ; en 2011 elle réitère dans Libération du 4 avril : ‘Une tâche de la démocratie à venir sera sans doute de définir l’équilibre entre la légitimité d’une désobéissance et le maintien d’une légitimité politique qui permet l’expression de la diversité des opinions et la dénonciation des extrémismes.’ Évidemment, les extrémismes sont à gauche et à droite du bloc démocratique, comme la Révolution prolétarienne et la révolution nationale se situent de part et d’autre du Capitalisme libéral. Cette lecture rudimentaire, quoiqu’emberlificotée dans une démarche pseudoscientifique, a le mérite de remettre au centre du raisonnement le libéralisme, dans le sens pragmatique et non idéalisé que lui donnent ceux qui en sont les propagandistes chargés de camoufler le Capitalisme. Une révolution nationale, qu’elle soit Front ou Rassemblement, couvre ce tour de prestidigitation et n’a plus de raison d’être que de sacrifier les restes de démocratie devenus superflus et attentatoires à la liberté d’exploitation de la main-d’œuvre salariée, ou au chômage. Très naturellement ce sera la suppression ou l’étranglement des organisations, politiques et syndicale en priorité, suivies par toutes les autres qui relèveraient d’un esprit de résistance, que ce soit en art, en littérature et même en science, les précédents ne manquent pas pour qui voudrait faire une liste exhaustive de toutes ces sacrifiées exécutées sur l’autel de la révolution nationale… en Espagne, au Portugal, en Allemagne, dans la France de Vichy, etc.

J’entends les objecteurs de conscience dire que la Révolution prolétarienne n’ira pas sans que mal n’en vienne. Que l’URSS fut à cet égard exemplaire. Une révolution trahie, pour reprendre l’expression connue de Trotsky, des soviets dénaturés, tournés en leur contraire, démontraient les faiblesses de l’entreprise, d’ailleurs anticipées par Lénine lui-même. Il faut être d’une solide mauvaise foi ou d’une ignorance crasse pour ne pas le savoir et ne pas en reconnaître la pertinence, et pourtant la presque totalité des commentateurs, font comme si de rien n’était.

Un aspect d’un avenir possible reste donc à explorer. Essayons. Lutter contre le vent mauvais…

Ce sont amis que vent me porte

Et il ventait devant ma porte

Les emporta

Robert

* Nigel Paul Farage né le 3 avril 1964 à Downe, est un homme politique, animateur de radio et analyste politique britannique de droite souverainiste, classé à l’extrême droite. Il est à l’origine de la création du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, qu’il dirige entre 2006 et 2016. (Wikipédia) Militant pour le Brexit.