Après la guerre de 14-18 qui avait été une immense boucherie où chaque famille avait perdu un ou plusieurs hommes et dont toute la société était sortie meurtrie, un vaste mouvement pacifiste s’est développé dans toute l’Europe, et aux États-Unis d’Amérique.
Plus jamais la guerre ! C’était le slogan de ce mouvement qui développait l’idée qu’avec la volonté d’empêcher la guerre, la politique pouvait et devait résoudre tous les problèmes. La négociation devait toujours être préférée à la guerre, la conviction à la contrainte.
Ce courant était tellement fort dans la société qu’il n’a pas été pour rien dans le refus du Front populaire d’intervenir en Espagne où Hitler aidait Franco, puis dans la conclusion des accords de Munich, deux moments où l’on pouvait probablement encore arrêter Hitler dans sa conquête de l’Europe, et cela n’a pas été fait.
Ce même courant a empêché l’intervention nord-américaine dans cette guerre jusqu’au moment où les autorités ont considéré, selon les historiens, qu’elles devaient laisser faire l’attaque de Pearl Harbor pour qu’une majorité accepte enfin d’entrer dans le conflit.
Par la suite, en France, une partie de ce courant s’est radicalisé contre ceux qui lui semblaient être des politiciens qui ne rêvaient que de guerre, et c’est ainsi qu’ils accueillirent l’initiative de Philippe Pétain de demander à l’Allemagne nazie un armistice le 17 juin 1940 comme une concrétisation de leur idéal pacifiste. Certains, venus de la gauche, firent ainsi partie des instances et des milieux de la Collaboration.
Du pacifisme au soutien à la solution finale, l’Histoire nous montre la complexité et la dialectique qui sont à l’œuvre dans les sociétés humaines, et comment figer la position d’un moment pour en faire un dogme peut conduire à son exact contraire.
Voyant la guerre d’Indochine, et la guerre d’Algérie qui lui succédera quelques mois plus tard, nombre de jeunes qui feront partie des appelés du contingent envoyés en Algérie pour défendre des intérêts qui n’étaient pas véritablement ceux de la République, conçurent l’idée que la France c’était cela : un impérialisme contre lequel il fallait se battre frontalement si l’on voulait défendre l’émancipation des peuples et de l’humanité en général.
Ils en revinrent avec l’idée que le drapeau tricolore était le drapeau de l’oppression, la Marseillaise l’hymne de la torture, et la Nation un subterfuge pour opprimer les peuples colonisés et exploiter, à la métropole, les travailleurs. Figeant eux aussi, à partir d’une expérience douloureuse, l’impression d’un moment pour en faire un dogme.
Ce sont eux qui formeront – après l’effondrement sans gloire de la SFIO dans le bourbier Algérien – ce sont eux qui formeront la charpente de la gauche pour les décennies qui suivirent. Il lui inculqueront ce rejet de la Nation, convaincus que la Nation ça sert d’abord à faire la guerre, ensuite à coloniser et à opprimer. Ils retrouveront une partie du propos de ce mouvement pacifiste qui disait qu’en abaissant les frontières on empêchait les guerres.
C’est à eux que l’on doit le succès, à gauche, de cette idée que construire l’Europe en abaissant la France, comme toutes les autres Nation qui la composeraient était un progrès qui allait s’ouvrir sur l’émancipation des populations. C’est eux qui furent les clients numéro un de ce mensonge grotesque disant que ce qui empêchait la guerre en Europe était l’existence du Marché commun, puis de la Communauté Économique européenne, puis de la Communauté européenne, puis de l’Union européenne, alors que chacun a en tête que c’est l’existence de la dissuasion nucléaire.
La gauche menait ce mouvement, mais il était aussi très fort à droite, ou plutôt au centre droit. Ainsi lorsque j’étais jeune, il n’y avait guère que l’extrême droite pour brandir des drapeaux tricolores, la gauche lui opposant volontiers le drapeau rouge et si les Communistes agitaient de temps en temps ce drapeau tricolore, ceux qui ne l’étaient pas considéraient que c’était pour mieux camoufler leur allégeance à l’Union soviétique, que tout le monde remarquait.
Le nouveau Parti socialiste pour marquer sa rupture avec la SFIO adopta ce code anti-drapeau tricolore et anti-national qui provenait de l’extrême gauche, alors très influente dans les milieux de la petite bourgeoisie urbaine, et donc par extension les petits milieux du monde médiatique même s’il était bien différent d’aujourd’hui.
L’extrême droite représentait en France, selon les moments, de 1945 à 1984 entre 2 et 5 %. Progressivement gagnés par l’air du temps les Communistes qui régressaient électoralement déjà fortement, ont pensé bon de partager le dédain des Socialistes et de l’extrême gauche pour le drapeau tricolore.
Venir à un 1er mai avec un drapeau tricolore c’était exposer sa santé physique.
Lorsque – avec beaucoup d’intelligence – un courant marginal de l’extrême droite animée par la famille Le Pen décida de se saisir du personnage historique de Jeanne d’Arc, ce fut sans rencontrer la moindre opposition dans la société française, où chacun leur laissa volontiers la Pucelle.
Les années qui suivirent montrèrent que la construction européenne, ce n’était pas « la France en grand » telle que Victor Hugo la projetait dans ses visions — qui ont beaucoup structuré l’imaginaire de la gauche sur ce sujet — mais que c’était un dispositif incontrôlé par les peuples, qui tirait vers le bas une bonne partie de la société française et qui retirait à l’ensemble de la société la capacité de peser sur son destin, pour faire partir à Bruxelles, à Francfort, et dans d’autres cénacles encore moins identifiables comme l’Organisation mondiale du commerce, le pouvoir de décision.
Progressivement, les élections devinrent une mascarade, les candidats sachant qu’ils feront ce qu’on leur dira de faire en haut lieu, et que la bataille se déroule principalement pour savoir quel groupe de gens sera le chargé de mission de ces organismes supranationaux. Les partis politiques servant de couverture à des écuries, portées par des individus dont l’égo narcissique devenait progressivement le cœur battant de leur vision du monde.
Le drapeau tricolore, la figure de Jeanne d’Arc, firent partie de ce qui permit à ce courant marginal au sein d’une extrême droite, elle-même marginale dans la société française, d’opérer une percée remarquable pour en faire aujourd’hui régulièrement le premier parti d’un point de vue électoral, en dénonçant le système de l’establishment, l’UMPS, et toutes ces choses, qu’il finirent par faire voler en éclats, non à leur profit mais au profit d’un agent direct des milliardaires, l’actuel président.
Depuis, la gauche se contente de parler aux catégories supérieures de la petite bourgeoisie urbaine, obtenant en réponse un écho de sympathie dans les médias qui sont composés des mêmes personnes, sans comprendre la rupture absolue d’avec le peuple. La candidate du Parti socialiste pour 2022 va bientôt en tirer la conclusion que le score de Benoît Hamon représente pour elle un rêve hors d’atteinte.
Lorsque nous avons avec Max Gallo et Jean-Pierre Chevènement fondé le Mouvement des Citoyens pour tenter de reprendre le drapeau tricolore, nous avons obtenu de la part du Monde et de Libération le label de « Le Pen Light ».
Cependant il a bien fallu à ces gens noter l’impact dans le peuple de la reprise de l’idée républicaine et du terme de citoyen, mais ce ne fut que pour en faire un élément de Spectacle ! Aujourd’hui tout est « citoyen » et le mot de « République » est mis à toutes les sauces alors qu’elle, la République, est chaque jour un peu plus abaissée.
Pour avoir le moindre espoir de reparler au peuple, la gauche devra non seulement faire des propositions au plan économique et social qui correspondent à l’intérêt des travailleurs et des catégories populaires, mais elle devra montrer qu’elle est décidée à faire revenir la souveraineté au sein du peuple français, et donc aussi, pour cela, se saisir des symboles du peuple français, et parmi eux le drapeau tricolore, dont on a vu qu’il pouvait refaire son apparition à gauche dans les meetings de la campagne de Jean-Luc Mélenchon en 2017, en arrachant des centaines de milliers de voix à l’extrême-droite, et aussi la figure de Jeanne d’Arc qui est une figure révolutionnaire dans laquelle le peuple Français peut se reconnaitre.
Naturellement, comme nous sommes dimanche, cette réflexion me conduit vers une chanson. C’est il y a dix ans, en septembre 2011 que Laurent Voulzy chantera ce titre à la gloire de Jeanne d’Arc, dont il composa la musique et dont Alain Souchon écrivit les paroles, ce fut un succès alors.
Le dimanche, avec plus ou moins de succès, mais pour le plaisir de quelques aficionados, je diffuse une musique sur cette page.
Publié la première fois le dimanche 21 novembre 2021 sur le fil Facebook de Gilles Casanova.